Colette Nys-Mazure, Cette obscure clarté. éd. Salvator, 190 pp, 19 €.

D’une enfance au long cours

C’est l’enfance en nous/Qui s’étonne et s’effraie/S’affole et s’émerveille

L’enfance crie haut/Dans le dédale de nos vies/Voix de plus en plus voilée

Elle nous enchante nous hante/Nous attise nous envoûte/Elle nous hèle

Et nous sauve/Si nous lui prêtons l’oreille et le cœur

Nous n’en aurons jamais fini

Ce beau poème contient peut-être la clé de ce livre, qui traite de la vieillesse, de la mort, de la maladie, mais sans enfermer dans une sorte de ghetto ceux qui ont atteint le troisième, voire le quatrième âge. Car la vie continue, et c’est cette enfance même,  qui l’irrigue et l’enchante de façon continue. Se saoûler de rêverie sous les branches des arbres, ou dans leurs bras. Inventer des histoires, rêver sa vie, nous dit-elle encore. Les joies sont simples, et se jouent des contradictions du monde moderne.

Une atmosphère douce, feutrée, sans rien qui pèse ou qui pose. L’attention portée à chaque être, à chaque chose, à sa beauté – car tout ici-bas a sa beauté – à son parfum, à sa couleur. C’est peut-être cela la foi, source de charité: croire en chaque être, savoir que chaque ride, chaque cicatrice est la trace d’un vécu quotidien, de peines et de joies, que nul n’a droit de mépriser. Le poème ou la lecture de chaque matin, avec bien souvent le sentiment de notre petitesse, de notre incomplétude. Ce sentiment qui fait, et qui fait seul notre grandeur et notre force. Quand plus rien ne nous attache ici-bas que cette attention portée à chaque être, à chaque chose d’ici-bas.

Elle sait trouver, pour en parler sans le crier sur les toits, le ton juste, comme un pianiste met toute une vie pour arriver à jouer juste, selon sa propre mesure intérieure, une musique subtile et aérienne, un concerto de Mendelssohn. Non pas la perfection, mais la route qui y mène. Car nous sommes toujours, là, en route.

Avec Camus je souhaite n’être infidèle ni à la beauté ni à la misère du monde. Et ailleurs, nous dit-elle; Reste avec nous le soir tombe. Tel aurait pu être aussi le titre de ce livre. Et encore, citant Jean Sulivan: La plus grande charité que vous puissiez faire à vos proches est de vous guérir de votre angoisse. Et encore, p.68: L’expérience fondatrice,  celle d’un émoi profond et non superficiel, est inscrite en nous dès l’enfance, ou bien encore, p.72: Je voudrais ne jamais être indigne de l’enfant révoltée que j’ai été.

Toujours et partout elle est attentive aux autres, non par curiosité, ni pitié: une attention, une tension véritable. La toute première démarche: reconnaître leur existence. La seconde: reconnaître en eux une personne. Le reste vient par surcroît. Ainsi serons-nous, comme elle dit, des passeurs de vie.

Ainsi ce livre va son chemin, nous apportant au passage des brassées et des bouquets de sagesse et de poésie, sans jamais forcer le ton, avec une grande légèreté et une grande profondeur à la fois, ce qui constitue, me semble-t-il, la marque propre de Colette Nys-Mazure.

Joseph Bodson