Myriam Watthee-Delmotte,  Henry Bauchau, Sous l’éclat de la Sibylle,  Actes Sud, 2013

Publiée la même année que celle du décès de Bauchau, l’étude du professeur Myriam Wathee-Delmotte éclaire d’une manière complète, subtile et complice l’univers vaste et complexe d’un de nos grands écrivains belges d’aujourd’hui. Placée sous la marque de la déchirure, de la fêlure ou de la désillusion, l’œuvre de l’auteur de « Œdipe sur la route »,  un de ses titres essentiels,  ne cesse de revenir, mythes à l’appui, sur ce qui a marqué sa vie et qui s’est dévoilé à la faveur  d’une longue analyse sous la conduite de Blanche Jouve-Reverchon. Les épreuves de l’enfance (l’incendie de la Bibliothèque universitaire de Louvain), la capitulation de l’armée belge en 1940 et l’accusation de collaboration qui sera portée plus tard contre lui, suite à son engagement de chef dans le Service Volontaire des Travailleurs Wallons sur lequel les Rexistes voudront mettre la main, ses difficultés conjugales, professionnelles et ses doutes permanents malgré ses activités incessantes et sa formidable capacité d’écrire, autant d’écueils, de crevasses à franchir avec l’aide de l’Antigone du mythe, de la Sibylle, sa psychanalyste, et des bonnes fées qui se sont présentées sur le chemin sous la neige de sa très longue vie. Parmi ces dernières, l’auteur de l’essai elle-même qui a suivi l’écrivain, durant de nombreuses années, avec une attention extrême et une fidélité sans défaut, au point de nous donner ce nouveau livre, à la veille d’un centenaire que Bauchau n’aura pas pu fêter de son vivant.

Que retenir de cet ouvrage très fouillé qui englobe toutes les strates de la géologie de ce grand introspectif ?  Peut-être cet enseignement : il y a chez chacun de nous une somme de labeur, de souffrance et de divertissement qui forment une existence pas toujours facile à équilibrer mais il faudrait pouvoir tenir compte aussi de la part de rêve, d’inconscient qui est d’une ampleur extraordinaire et qui est à même de nourrir également notre vie et de nous la rendre plus intelligible et captivante. Comment la connaître, sinon en sacrifiant beaucoup de temps à l’analyse et à l’écriture, luxes réservés à quelques-uns seulement.  Ces derniers le concèdent-ils au moins ? Bauchau aura mis un siècle à s’exposer, sans le vouloir dans un premier temps, et à se chercher ensuite avec obstination, durant plus de la seconde moitié de son parcours de vie…

Heureux les écrivants, comblés et reconnus ou encore et toujours incompris et bourreaux d’eux-mêmes ?…

Réponse de Henry Bauchau, citée par son exégète : J’ai l’air de ne m’occuper que de moi-même mais je suis avec tout ce qui lutte pour défaire les vieilles barrières et édifier un monde nouveau.

                                                                  Michel Ducobu