Simenon à Neufchâteau et la BD belge en Province de Liège : la mémoire-papier des grands Belges est devenue deux belles propositions de lecture.

 

Etrange pays que le nôtre. Ramassé sur lui-même, déchiré de

          l’intérieur, il a vu se profiler pour l’éternité trois figures de

              l’activité  culturelle universelle : Brel, Hergé et Simenon. Nos

              éditeurs,  même situés en province,  continuent à honorer, avec conviction,  cette Belgique-là.

                 Olivier Weyrich est éditeur à Neufchâteau. Des sujets typiquement ardennais, il en connaît la musique. Mais il vient  de publier coup sur coup deux sujets à haute valeur nationale :  un Hergé et la publicité   remarquable  et  surtout un « Simenon » noir-jaune-rouge  : La Belgique  de Simenon(1), un album d’un excellent  niveau iconographique, 101 scènes d’enquêtes menées par  deux simenoniens grand format, Christian Libens et Michel Carly. Une subtile architecture de textes, de photos, d’affiches, de couvertures qui met en évidence tout le savoir faire d’un éditeur qui travaille désormais  dans la cour  des grands.

Les éditions dites « de la Province de Liège » est désormais le nouveau label d’un CEFAL moribond. Nouvelle direction, nouvelle ligne éditoriale, relance d’un projet dynamique, audacieux qui s’illustre  par la sortie d’un album de haute tenue : le Dictionnaire illustré de la bande dessinée belge  de la libération aux fifties (1945-1950). Il est signé (2)  par un fin connaisseur en la matière, Frans Lambeau ;  il constitue l’aboutissement d’une passion qui force le  respect.

Voilà venus des provinces wallonnes deux albums  indispensables à l’élaboration de la mémoire collective.

 

      Simenon a écrit la Belgique.

Libens et Carly sont de sacré fouineurs. A croire qu’à force de s’empiffrer de Maigret à longueur de nuit, ils sont devenus au fil des jours les plus fins détectives de la planète simenonienne.  De fait, par définition, c’est Liège qui tire Simenon vers le monde entier : sa naissance comme sa jeunesse se sont tellement imprégnées de cette ville qu’elle parait être l’incarnation de l’énergie fictionnelle du grand auteur. En sept itinéraires à travers les lieux, les romans les étapes de sa vie et son départ, les deux auteurs synthétisent, redécouvrent, fignolent la position fortifiée de Liège dans le dispositif vital du grand Georges.  Explorée déjà de fond en comble par les travaux de Michel Lemoine qui vient de décéder, Liège reçoit  ici l’hommage  iconographique qu’elle mérite…  photos d’ambiance, archives de la police,  couvertures des romans… Aucun détail ne semble avoir échappé aux enquêteurs de service, même s’ils se sont bien gardés  de s’attarder sur des faits défavorables à la mémoire lisse du romancier. Le procès de Verviers, le mépris global de Simenon  pour la province, son ignorance crasse à l’égard d’Edmond Glesener dont les romans ont chanté Outremeuse bien avant les siens… Mais qu’importe ! Simenon a tracé ses routes à travers  toute la Belgique. Les chapitres sur Charleroi sont magnifiques, détaillés et imposants notamment par la présence du roman Le Locataire. A Bruxelles, on visite les grands hôtels, les petits bistrots, la gare.   Sans oublier ses évidentes incursions en Flandre par Le bourgmestre de Furnes et le tournage d’un seul Maigret en Ardenne, du côté de Marche. L’angle pris par les enquêteurs est donc double : un angle biographique de ville en ville et  un angle fictionnel puisque romans et films s’entrelacent comme les faits et gestes d’un écrivain qui n’a jamais oublié  « sa » Belgique. Nos deux loustics simenoniens  et  l’éditeur Weyrich proposent pour l’éternité l’un des ouvrages les plus réussis  autour de la mémoire de l’enfant d’Outremeuse.

Curiosité audacieuse : les auteurs comparent la nostalgie de Simenon pour Liège à la nostalgie des Beatles pour Liverpool. Et de conclure, très hâtivement que Liverpool est aux Beatles ce que Liège est à Simenon… Il n’y a que deux chansons des Beatles qui parlent       de Liverpool et jamais vu à Liège des paquebots en route vers l’océan…

Mais bon.

 

La bande dessinée se fait belge dès la fin de la guerre.

    Un album de haute tenue qui met les choses au point. Il est vrai que  pour le grand public la bande dessinée de l’après-guerre se résume à la création de Tintin en magazine hebdomadaire et à la reprise du Journal de Spirou devenu Spirou en 1947. Ce n’est pas faux mais c’est sommaire.  La lecture de ce très beau dico montre bien que d’Alix à Buck Danny en passant par Spirou, Bob et Bobette, Lucky Luke, Valhardi, Black et Mortimer, Johan…  les héros populaires naissent, et s’installent directement après la fin du conflit.  Leurs créateurs deviendront des piliers de cet art : Jijé, Vandersteen, Franquin, Peyo, Charlier, Hubinon, Sirius, les Funcken… Mais s’il y a dico,  il y a souci d’être complet.  Et l’auteur de  nous emmener dans les vieux répertoires de province comme le Liégeois Gordinne , comme l’école de Charleroi, l’école de Bruxelles, les secrets de Mickey-Magazine, le traitement des héros de l’histoire comme Godefroi de Bouillon ou les premiers récits de « l’oncle Paul » dans Spirou. Frans Lambeau ne se contente pas d’étaler avec soin  sa science, il propose  ici et là des regards critiques par la  mise à distance qu’ il juge indispensable à l’analyse des faits même s’il doit remettre à plat certaines certitudes. Il pose toujours la même question : comment cet art défini comme mineur et peu sérieux s’est déplacé  sur le champ littéraire et est devenu, par le recul, le reflet de son époque au même titre que le jazz, la chanson, la littérature, la peinture, la photographie… Impression : tout semble avoir  été inventé durant ces cinq années  tant elles semblent  dynamiques, fraiches et créatives. Un  album fabriqué en Province, Liège en l’occurrence,  qui sent bon l’ensemble d’un pays à la recherche de son ciment culturel. En voilà un point essentiel…

Curiosité: l’auteur descend en flamme le  On a marché sur la lune de Hergé en 1953, lui ôtant les perspectives visionnaires que certains croyaient avoir vues après le vrai débarquement du 21 juillet 1969. Une analyse pudique qui montre l’aspect sociologique de ce travail.

 

(1)La Belgique de Simenon , Libens & Carly, Weyrich éditions

(2)Dictionnaire illustré de la bande dessinée belge (1945- 1950, Frans Lambeau,  Les Editions de la Province de Liège.

Guy Delhasse