Werner Lambersy, Escaut ! Salut , suite zwanzique et folkloresque, Paris, Opium, 2015, 128 p.

Ils sont quelques-uns à avoir arpenté les berges de l‘Escaut de sa source à son embouchure ou vice-versa : Marie Gevers, Michèle Vilet en compagnie de son frère photographe Jacques, Franck Venaille, Luc Devoldere…  Lambersy, qui naquit à Anvers d’un père flamand et devint écrivain francophone, est bien placé pour parler d’un pays et de villes qui sont siens.

Il a choisi de nous balader en vers brefs, libres, placés dans des strophes qui comptent entre un et trois vers. C’est dire déjà qu’il n’y aura pas d’emphase, pas non plus de cette grandiloquence qui, parfois, alourdit les vers de Verhaeren, poète francophone de Flandre, qui a, lui aussi, consacré des poèmes à l’Escaut.

Lambersy ne se contente pas de la géographie. S’il décrit un peu les sites traversés et le climat qui les caractérise, il nourrit son écriture d’éléments puisés dans l’histoire, la culture, la mentalité des régions parcourues. Qu’on se rassure, ceux qui ne sont ni du pays ni du coin ont droit à des notes, pas trop nombreuses, qui permettent d’être éclairé à propos de choses très locales.

Remontant vers l’estuaire, le poète part d’Antoing avant d’aborder Tournai. Une fois passée la frontière linguistique, le voici à Audenarde, Gand, Wetteren, Termonde pour aboutir à Anvers, là où, pour lui, tout a commencé.

La lecture mène à percevoir une région à travers des images verbales, ces métaphores que l’écrivain affectionne et qui incitent l’imagination à fonctionner et la langue à prendre une autre dimension que celle de l’information purement fonctionnelle. Ainsi « On retourne la crêpe / du jour dans le poêlon de la révolte ». Ou encore « une batelière aux / seins larges / fixe à la corde d’un crépuscule / son linge bleu ».

  Ce qui se mêle forme un ensemble qui oscille d’un passé par moments retrouvé à un présent qui sait qu’il ne reviendra pas en arrière. Le monde d’hier et celui d’aujourd’hui coexistent. Ils se croisent. Ils font en sorte que se dessine un univers très particulier qui fait l’identité de la Belgique.

Ce point de vue se tisse au fil de rapprochements insolites, comme des carbonnades au pain d’épices et la couleur des chevaux du duc d’Albe, des chopes de bière artisanale et des airs de rock… Cela se confond en un même ensemble : le maréchal Montgomery et la danse d’Anne Teresa de Keersmaeker, les courses cyclistes et les touristes japonais, le gâteau Boma-Matadi et le Big Mac…

De plus, il y a, outre les notes déjà citées, une étude de Michaël Vandebril à propos de Lambersy qui « laisse deviner où sont ses racines. Elles sont bel et bien en Belgique, cet étrange pays, melting pot de culture romaine et germanique » ; une seconde de Thomas Joiret qui remarque, entre autres, qu’ici « L’écriture ne se fait plus langage, elle devient machine de production, usine à mémoire ». Enfin, et ce n’est pas négligeable : cette édition est bilingue grâce à une traduction de Guy Commerman.

Michel Voiturier