Antoine Wauters, Césarine de nuit, Chambon-sur-Lignon, Cheyne, coll. Grands Fonds, 2013, 128 p.

césarine

Sur le thème délicat des enfants maltraités, Antoine Wauters (Liège, 1981) a composé un livre dont chaque page de texte se présente comme une enluminure, comme une photographie, espaces rectangulaires restreints dans lesquels les mots sont cadrés, mis en réserve, sans cependant être cernés par un encadrement. Chacun constituant un moment d’existence observé par un narrateur extérieur qui constate les faits, les commente et peut-être même y participe.

 L’ensemble est consacré à la Césarine du titre ainsi qu’à Fabien, son frère jumeau. Embrigadés afin de castrer leurs rêves, leur envie de liberté, leur esprit de révolte, ils sont soumis à l’impitoyable. Ils sont contraints par ces parents bourreaux qui apparaissent épisodiquement, par des institutions en mal de normalité obligatoire, par un exil forcé, par une firme exploiteuse du travail infantile, par les mécanismes psychiatriques. Il y aura encore Charles, l’aîné, le fugueur en allé et dont le retour hypothétique est vainement espéré. Tous trois nés où l’amour parental est absent, où on n’a eu de cesse que de se débarrasser d’eux. Le premier partant de lui-même ; les deux autres abandonnés à douze ans.  

 La neutralité distante du narrateur anonyme est coupée de passages en italiques où perce la sensibilité du ‘je’ des personnages. Il lui arrive de tutoyer, par intermittences, le sujet dont il nous parle. De temps à autre même, il s’insère dans le récit en usant d’une ambigüe première personne du pluriel qui vient relayer l’impersonnalité hypocrite du ‘on’ ou d’associer le lecteur au moyen du ‘vous’. Les phrases mises typographiquement en vignettes ont beaucoup à dire sur les perceptions sensorielles. Odorat, toucher, goût, ouïe, vue sont sans cesse sollicités afin de transmettre en priorité au lecteur, avant les flux mentaux, le ressenti des corps.

 Césarine confectionne des poupées de chiffons, remaille, recoud. Quelquefois la voilà promenée, accoutrée, semble-t-il, comme objet de désir. Fabien incarcéré ailleurs lisait Césaire, Artaud les rebelles et se voit périodiquement battu, torturé, drogué, aveuglé. On désire les amputer de la mémoire de leur passé. Les empêcher d’être des revêches.

 On retrouvera les jumeaux à vingt ans, sans domicile fixe. Menant une survie précaire, solidaires l’une de l’autre. À nouveau écroués ou internés, tous deux. L’auteur alors dirige son attention du côté de la folie, des traitements infligés jadis (aujourd’hui ?) aux aliénés, de la justification qui les disculpe. Car, finalement la violence portée sur des êtres n’est-elle pas admise, voire encouragée, au nom d’une normalité jugée bénéfique selon les idéologies, les croyances religieuses ?

 Pour exprimer l’horreur vécue, Wauters ne pratique pas le récit narratif du roman traditionnel, linéaire, rigoureusement chronologique. Il aligne des fragments analysés du dehors, des parcelles de monologues intérieurs. Il lui arrive de se servir de la tonalité sèche du constat presque administratif. Il mêle les phrases informatives complexes à d’autres, elliptiques jusqu’à se restreindre çà et là à un mot unique. Il ose des images poétiques imprévues, héritières du surréalisme. Il dresse là un portrait accablant de l’humiliation, de la frustration du besoin d’amour grâce à des protagonistes jamais identifiables comme tels mais assimilables à tous les martyrisés du monde. Ceci en évitant la facilité liée à ce genre de sujet : mener le lecteur vers une émotion exclusivement sentimentale, qu’elle soit d’apitoiement ou d’indignation. 

Michel Voiturier

Lauréat du prix triennal de la ville de Tournai 2013 après Bauchau, Emmanuel, Malinconi, Pirotte, Hanotte, De Bruycker, Bergen, De Haes.
Lauréat du prix Marcel Thiry de la Ville de Liège.