19141914-1917, Le Dieu de la guerre – Religion et patriotisme en Luxembourg belge. Musée en Piconrue, Place en Piconrue, 2, 6600 Bastogne.

 

Un sujet qui semble bien circonscrit, bien limité, si l’on s’en tient seulement à une première approche du titre. Par un collectif d’historiens dont certains sont très connus, d’autre beaucoup moins. Mais ne vous y fiez pas: ces limites sont très extensibles, et le sujet est bien plus vaste qu’il n’y paraît.

Une première constatation: le Luxembourg est sans conteste la province de Wallonie où la piété était la plus fervente. L’évêque, Mgr Heylen, savait joindre beaucoup de fermeté avec des idées plutôt moderne. C’était un modéré: il n’ira pas aussi loin que le Cardinal Mercier dans ses attaques contre l’occupant. Le Cardinal était d’ailleurs assez isolé…Si l’on remonte plus haut, le pape, Benoît XV, avait une (légère) préférence pour l’Autriche très catholique et l’Allemagne, religieuse, en face de la France laïque et anticléricale. Il faudra donc lui ouvrir les yeux, après que les premiers massacres de civils ont été connus. Ces massacres seront par ailleurs grandement exploités par les politiques belges, Nothomb, Destrée, qui vont parcourir le monde en cherchant à faire entrer les neutres dans le combat. Et cela ira loin: on parlera d’enfants aux mains coupées…

Mais qu’en est-il de ces massacres? Une phobie, chez les Allemands: celle des francs-tireurs, l’expérience de 1870-71. Une croyance bien ancrée dans la plupart des esprits, même chez les officiers, les intellectuels. Certains journaux luthériens présenteront d’ailleurs les civils belges comme pareils aux ligueurs de la Saint-Barthélemy, guettant les braves soldats allemands pour les massacrer. Un journal catholique de Cologne protestera. Et puis, le 22 et le 23 août, les troupes françaises vont affronter les Allemands en Gaume. Des soldats se réfugieront dans les maisons, seront pris pour des civils…Beaucoup de curés avaient accroché un drapeau belge à leur clocher: des soldats allemands croiront aussi y voir des mitrailleuses. Les consignes données avant le conflit par les officiers supérieurs étaient extrêmement sévères envers les francs-tireurs, prévoyant otages et représailles:Ce seront les massacres de Rossignol, d’Etalle, de Maissin. Ailleurs, Dinant, Andenne, Tamines, bien d’autres encore…Des centaines d’exécutions sommaires, parmi lesquelles une vingtaine de prêtres. Et pour les Ardennais, les Allemands seront, du coup, diabolisés. A cela s’ajouteront, bien sûr, toutes les misères de la guerre.

Cet ouvrage, comme toux ceux que publie le Musée en Piconrue, est d’une remarquable concision, ce qui ne l’empêche pas d’envisager de nombreux sujets adjacents: la Résistance, qui vise surtout le renseignement et l’hébergement des combattants alliés échappés à l’ennemi. Les aumôniers du front. Les souvenirs monumentaux et écrits. La presse, au front, et sous la férule de l’occupant, avec les épisodes mouvementés de l’Ami de l’Ordre, qui s’était montré trop docile.

Signalons simplement quelques titres de contributions, au passage: Les enluminures luxembourgeoises  du manuscrit de Maredret: une violence sublimée, par Jean-Marie Doucet (un travail extraordinaire  enluminé par les bénédictines, dans un style qui rappelle celui des livres d’heures de l’époque de Saint Louis). Août 1914. Prêtres assassinés, églises profanées: une guerre de religion au Luxembourg?, par le même auteur La mort de Psichari à Rossignol: une mystique militaro-religieuse, par Patrice Dartevelle. L’évêque de Namur et son diocèse dans la Grande Guerre, par Axel Tixhon, qui signe plusieurs autres études. La symbolique religieuse sur les monuments de 14-18 en Luxembourg, par Laurence Van Ypersele. Une mémoire de papier: l’ouvrage monumental de Schmitz et Nieuwland sur l’invasion des provinces de Namur et de Luxembourg, par Thierry Scholtes. ¨Pratiques religieuses et usages liturgiques au lendemain de la guerre 1914-1918, par André Haquin.

L’iconographie, particulièrement riche et soignée, vient appuyer des textes dont le niveau général est excellent, et témoigne de réflexions approfondies. L’ouvrage se lit avec passion, et permet une « remise en question » qui n’enlève rien au dévouement des prêtres du diocèse, ni au patriotisme de la population. Un seul regret: j’aurais aimé voir mis en valeur le petit musée de Latour, ainsi que les publications de notre ami Jean Dauphin.

Joseph Bodson