legge débonneurJacky Legge, À l’école du Débonheur, Merlin, Déjeuners sur l’herbe, 2013, 58 p.

 

La nouvelle imaginée par Jacky Legge trace une série de portraits d’élèves à peine embarqués dans le début de leur adolescence. Puis à l’âge adulte, lors de retrouvailles imprévisibles. La structure narrative est qu’un portrait en engendre un autre puisque chacun des protagonistes est décrit dans ses relations avec les membres de la classe, chacun émettant un avis sur un ou plusieurs de ses condisciples. Tant et si bien que se dessine une image plus complète de chaque individu à travers les regards d’autrui. Et le sens de l’histoire s’avère, finalement, « Comment faire pour dépasser les apparences ? »

Les descriptions prennent vite un ton caustique. Dès l’adolescence, en effet, les gens ne se font guère de cadeaux. Ils ont sur leurs contemporains des jugements non dénués d’esprit critique même si c’est l’envie, la jalousie, le dépit… qui les nourrissent et les déforment.  Surtout aussi si ce sont les complexes qui s’y alimentent. La méchanceté qui en découle est l’essence d’un certain humour qui naît déjà dans les surnoms attribués à chacun.

Prout-Prout-la-Rousse-péteuse, Isabelle-la-Catholique, les Triplettes pipelettes, Serge-la-Pendante alias le Dixeslique, Rose-la-Reine-Morte, Marguerite-la-Boutonneuse, Angèle-met-un-peu-le-Chauffage, Thierry-le-Véro-laid, Abel-au-Bois-ardent… composent cette ménagerie humaine dans laquelle il y a davantage de carnivores que de ruminants. Encore que, pour ruminer dans leur tête, certains soient vraiment des champions ! 

Un champ lexical parcourt en filigrane cette nouvelle tendre-amère. C’est celui qui représente en opposition une vision laïque du monde et une optique religieuse. Les vocables les plus abondants ont trait au catholicisme évidemment puisque l’action se déroule chez nous. En regard de la libre pensée et du rationalisme, il y aura ostensoir et missel, office et offrande, bigote et missionnaire, paradis et contrition… Mais mosquée et ramadan n’en sont pas pour autant absents, multiculturalisme belge oblige.

Quant à la présentation, elle mise sur l’originalité. L’auteur a en effet demandé au plasticien calligraphe Denis Meyers de jouer les copistes. Il a donc réécrit à sa manière le texte qui nous est désormais restitué avec des pulsions graphiques, des mises en valeur de lettres ou de mots ajoutant un sens visuel à la compréhension intellectuelle.   

Michel Voiturier