mokaféChristiane Levêque, Le Mokafé, Bruxelles, Carnets du Dessert de Lune, 2013, 66 p. Illustrations : Garène.

 

Établissement connu de Bruxelles, le Mokafé, abrité dans la Galerie du Roi, est un lieu d’observation par excellence, comme la plupart des tavernes. Christiane Levêque y a glané des notes, au fil des jours. Elle les restitue en brèves proses. Il y est question, comme le souligne Eva Kavian dans sa préface, de « ces reflets de nous que sont les autres ».

 Il y a souvent de la solitude dans ces personnes qui viennent s’installer à une table de brasserie. Les portraits défilent, comme les clients. Ce sont des photos instantanées. Elles dessinent des silhouettes ténues. Elles suggèrent des existences entières en des croquis rapides.  Les mots ne disent pas tout ; derrière eux, ce qui n’est pas dit laisse le lecteur imaginer, soupçonner ce qui a pu se passer au cours de la vie de ces êtres un moment posés en un lieu plutôt protégé au cœur du va-et-vient, du brouhaha de la ville. Parfois même, trois lignes suffisent.

 L’âge se devine entre les phrases. Un caractère surgit au détour d’une parole prononcée. Une tension s’esquisse entre deux convives. Un drame transparaît à travers une larme versée dans un verre de Duvel ou via un geste répétitif au cours d’une attente improbable ou encore d’une fille en quête de la reconnaissance d’un père. Une robe provoque une bouffée de souvenirs. Un afflux de touristes provoque un hoquet snobinard. De vieux couples témoignent d’attentions touchantes.

 Un vocable déclenche et dévoile un rapport subtil avec la réalité : un homosexuel commande une salade folle, un colombophile acheteur se demande s’il n’est pas un pigeon… Le trait parfois, lapidaire, rappelle Jules Renard : « ‘Ma place est prise’ dit-elle, rageuse. Voyons, quel affront à l’habitude. »

 Sans cesse, le lecteur passe de l’image vue à la connaissance, partielle sans doute mais profondément tendre, des êtres entrevus, humains ou félidés. Un peu comme lorsqu’on s’attarde sur des photos de Jacques Doisneau.

Michel Voiturier