Armel JOB, Dans la gueule de la bête, roman, R. LAFFONT, 310 pages, 19, 50 euros.

Armel JOB possède l’art consommé de nous présenter des personnages en relief sans qu’ils apparaissant nécessairement au premier plan.

De prime abord, une histoire « classique » avec Liège, dans les années 40, et ses faubourgs en toile de fond: deux couples, d’un côté, Nicole (Fannia) Piedboeuf  et Volko Goldmann, autrement dit Grégoire Demarteau, et leur fillette, Annette (Hanna), de son nom d’emprunt  Lebrun, hébergée à l’orphelinat de la Miséricorde, de l’autre, Laja Krandel, épouse  José Kaiser, le seul catholique des quatre, tous des êtres traqués. On s’y attend : rencontre de l’habituelle cohorte de dénonciateurs, de salauds, de gens courageux qui osent prendre des risque : Angèle qui, pour récolter l’argent de la garantie locative, lui permettant de vivre avec Jean, va vendre Volko à Pierre Baumann, collabo, et donc à l’occupant ; les membres du réseau catholique, de l’Archiconfrérie,dont le notaire Desnoyer et l’avocat Vandenbergh, qui s’évertuent à sauver des Juifs, mais évidemment sur fond de catholicisme de ce temps, où l’on demande à Dieu de « jeter un regard de compassion sur les restes d’Israël ».

Et c’est ici qu’apparaissent un univers et des  personnages pour le moins  troubles, dont on peut dire qu’ils ne sont pas enclos dans le temps du roman : Oscar Lambeau, ancien séminariste, écarté du séminaire par un professeur, l’abbé Müller, Oscar qu’on verra sauver Laja, mais livrer l’abbé Müller (« Parce qu’il devait livrer quelqu’un pour se sauver et que Müller est un prêtre »), ce dernier ayant été secrètement épris d’Oscar durant son temps de séminaire (« Müller lui caressait l’âme à défaut d’autre chose »). Et puis, ce personnage de sœur Michelle, la supérieure de la Miséricorde, elle qui couvre le « corps parfait (d’Annette/Hanna)  de baisers », gardant « sur ses lèvres et jusque dans sa bouche… le goût suave de sa peau ». Nous laissons au lecteur le plaisir de découvrir la nuit d’Oscar et de sœur Thérèse, dont Oscar « perçoit le froissement des vêtements qu’elle enlève ». Mais rassurons le : la morale restera sauve !

Nous terminerons sur deux thèmes, qui donnent au récit des accents dostoïevskiens : Judas et la trahison ; la miséricorde, la rédemption.

Revenons  sur la trahison de l’abbé Müller par Oscar ( « Il comprend Judas…..Quand on a le choix, on trahit toujours celui qu’on aime »),  en reprenant cet étonnant monologue du SS belge, Voos : « le national-socialisme est une religion, comme le catholicisme…. Ce n’est pas l’amour du prochain qui unira les hommes…. Les hommes ne s’inclinent pas devant l’amour mais devant la force seulement….. ». Et plus loin : « … n’aie pas peur de trahir, Oscar. La crainte de la trahison, c’est un préjugé pour les imbéciles. ….. On devrait mettre Judas sur les autels ».  On ne peut s’empêcher d’ici penser à la « Légende du Grand Inquisiteur » des Frères Karamazov : Oui, tu nous as laissé la liberté, donc, celle de trahir….

 Et puis, l’inquiétante et amoureuse Angèle, celle qui « porte des bas de soie grand chic », dont les yeux laissent parfois subsister « une lueur féroce ». Ses trente deniers, ses mille cinq cents francs se résoudront finalement à cinq cents francs ; elle sera larguée par son Jean. Alors, tout s’effondre autour d’elle, sa traîtrise l’emplit de dégoût : du parapet du pont des Arches, elle tombe  dans la Meuse. Un soldat allemand est là : Hans Simon, qui plonge dans l’eau et « la remorque à la rive ». Angèle sauvée des eaux par un soldat allemand….

 Armel JOB nous avait habitué à enchâsser dans ses textes des thèmes entrecroisés tout en gardant l’unité du récit. Il récidive ici de plus belle façon, pour finalement nous laisser devant cette question : « Qu’est-ce que l’homme ? » (A. GRAMSCI, il materialismo storico).

Michel Westrade