Jacques Richard, L’Homme, peut-être, et autres illusions,

Zellige, 2014.

On connaît le célèbre mythe de la caverne, imaginé par ce bon vieux Platon pour expliquer notre vision superficielle du monde : nous n’en verrions qu’un reflet, comme le prisonnier, enfermé dans une grotte, n’apercevrait sur la paroi que l’image floue et déformée de la réalité extérieure.

L’auteur, qui cumule les fonctions de peintre et d’écrivain, et qui, en outre, a le privilège d’habiter la maison bruxelloise où vécut Scutenaire, ne se prive pas, dans les nouvelles qu’il a rassemblées dans son livre, de jouer subtilement avec ce thème riche en développements de toutes sortes, y compris résolument surréalistes. Le quotidien rend aveugle, écrit-il, et pour s’en prémunir, rien de tel que de rechercher ou provoquer l’illusion, la surprise, ou mieux encore, l’analogie secrète entre les personnes, les objets, les situations, même les plus banales. Pour un peintre qui vit dans des murs où plane encore l’esprit d’un visiteur célèbre, le manipulateur Magritte, rien de plus tentant que de jouer avec le miroir, le trompe-l’œil, l’ombre et le double ! Qu’est-ce qui est sûr et permanent autour de nous ? Qu’est ce qui se cache derrière les apparences ? Que vaut notre jugement ? Qui pense ? N’es-ce pas plutôt la « chose » qui pense à notre place ? Qui regarde quoi ? Sans le regardant, point de paysage… Sans l’écrivain, point de point de vue. Mais tout ne serait-il donc que subjectif ? Et si je me laisse submerger en plus par mes phrases comme un mauvais nageur qui se noie ? Comment retrouver un semblant de réalité, de certitude ? Pour un peintre, l’exercice est fascinant : le tableau sera stupéfiant ou plaisant, original et dépaysant à coup sûr.  Pour un écrivain, par contre, le péril est grand de se perdre dans des descriptions déroutantes au sein desquelles le lecteur s’égarera à son tour. A moins d’être complice de l’auteur et de le suivre dans ses errances étranges, oniriques, ou parfois très inquiétantes, déstabilisantes au point où l’on se demande s’il ne faut pas en revenir à Descartes et s’interroger avec méthode pour savoir si l’on vit, pense et agit clairement…Un exemple : un simple chien qui a passé la limité de l’âge et qui va être sacrifié peut vous réduire à votre tour à un sort inattendu et peu enviable… Tout se tient, s’échange, se renverse ou se dénature dans notre vie de tous les jours : il suffit d’un instant, d’une « distraction » de notre esprit, volontaire ou non, pour que le décor se brouille, que le temps s’arrête ou tourne à l’envers sur lui-même et tous les repères s’évanouissent ou changent d’aspect et de fonction…Le fantastique est à notre portée, à chaque instant. L’artiste en fera peut-être son métier et s’en réjouira, s’en nourrira même, mais le paisible quidam, si la « chose » lui arrive et lui fait croire qu’il n’est qu’un homme peut-être en le transformant en piéton invisible, le voilà dangereusement exposé à tous les accidents de parcours et inexistant surtout aux yeux de la plus belle fille du monde qui habite dans sa rue… conclurait en s’esclaffant cet illusionniste de Scutenaire !

                                                                  Michel Ducobu