Marcel-Sylvain GODFROID, Le bureau des reptiles, Weyrich, coll.Plumes du coq, 540 pages, 21 euros.

Bureau des reptiles cov

« Ainsi que je l’ai écrit un jour…., l’exploitation rationnelle du pays passe par l’élimination d’une grande partie de sa population ; je parle des habitants les plus faibles, ceux qui ne nous sont d’aucune utilité…. » (p. 386). « Trancher la main d’un enfant n’est rien, puisque ce geste nous permet de retrouver l’instinct primordial…. » (p. 396).  C’est ce genre de considérations que le personnage central du livre, le journaliste Léo Dover, découvre dans la calepin du major Fonck.

Autant le dire d’emblée : on ne sort pas indemne de ce livre, pas plus qu’on ne sort rasséréné des Bienveillantes de Jonathan Littell. En toile de fond de ce dévoilement des atrocités commises au Congo: le journal L’Etoile voué à la glorification de l’entreprise coloniale,  le Bureau de presse de l’Etat indépendant du Congo, surnommé le Bureau des reptiles , son redoutable directeur, le vicomte Van der Linden, et l’ombre portée de Léopold II.

 Le récit  interpelle aussi une des problématiques majeures de notre temps : le pouvoir de la presse, sa liberté d’expression, sa sujétion. Par ailleurs, cette fin du XIXème se trouve, comme notre époque, à un moment de transition : on passe du dessin à la photographie ; on peut penser qu’ on chemine de l’ombre à la lumière, du mensonge à la vérité. Et ce sont d’ailleurs des « rouleaux de pellicule souple qu’on emploie avec les nouveaux appareils Kodak » (pp. 401-402) et une photographie qui ne se dévoilera qu’en fin de livre qui constituent un des fils conducteurs du récit.

Sur fond de recherche de vérité concernant notre politique coloniale, se développe, comme dans une tragédie grecque, le thème du parricide, sur un double leitmotiv : celui du roi, père de la Nation, dont Léo Dover, à un moment, se demande s’il n’est pas son père, ce qui expliquerait « sa fulgurante ascension à L’Etoile » (p.119), celui d’un père, décédé, mais haï. Et ces deux thèmes vont trouver à se nouer en fin de récit, le même jour, d’une part, avec la gifle donnée par Léo Dover à Léopold II, geste qui désacralise la personne du roi et, du moins symboliquement, la tue, d’autre part, avec la double révélation faite à Léo par le régisseur du domaine royal qu’il est son vrai père et le meurtrier de celui qui, jusqu’alors, avait été tenu pour le père légitime. Il est vrai qu’après avoir lu ce livre étonnant, on ne pourra plus regarder une statue de Léopold II comme auparavant, que l’image qu’on nous en avait donnée « à l’école » est bien morte…

On le voit, le livre de Marcel-Sylvain GODFROID va au-delà d’une dénonciation des atrocités commises au Congo : il l’écrit en post-scriptum : « Le romancier fait des choix. Il invente, donc  il ment. Ce n’est qu’à ce prix que son roman sonnera juste » (p. 526). On s’en aperçoit en découvrant l’étonnante figure du major FONCK, démon aux prétentions artistiques, comme l’était, plus près de nous, R. HEYDRICH, le boucher de Prague.

On ne peut passer sous silence les très belles évocations de Bruxelles en 1897, de ses rues –avec l’arrivée des premières automobiles-  de son petit peuple, de sa World’s Fair et de son stand colonial, le très beau rendu de la salle de presse, la description émouvante du Château d’Ardenne où l’on pense pouvoir respirer un peu d’air pur….

On a mal en terminant ce récit, comme  la Belgique a mal au Congo : « Amputée de sa colonie, elle continue d’en souffrir, elle vit dans le déni, elle refuse de débrider la plaie » (p. 525).

Marcel-Sylvain GODFROID, il y a encore tant de choses à écrire sur votre livre si dense, si riche et je ne peux ici en évoquer tous les aspects, tous les personnages.  Qu’il me suffise de dire : « A lire, absolument » !

Michel WESTRADE                                                                   

11 novembre 2013