Alain Bertrand, Jardin botanique, roman, Le castor astral., 144 pp, 14,30 €

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La marque propre d’Alain Bertrand, me semble-t-il: la distance qu’il sait prendre par rapport à ses personnages, à l’histoire qu’il raconte: plutôt que d’y être immergé, il la surplombe, nous en donne une vue d’ensemble.

Et cela, grâce à un humour un peu gouailleur, un sourire amusé, une sorte de retrait – il s’observe lui-même, se juge lucidement, se moque légèrement de sa propre personne – Bertrand-personnage – qui est, elle, justement, immergée dans un monde où tout se déglingue, où l’orchestre joue faux, où les acteurs (y compris Dieu le Père) tiennent leur rôle sans trop de conviction:

Dieu, lui, nouait la laine des nuages comme une vieille ouvrière en qui les années avaient façonné une hébétude synonyme de sagesse. Indéfiniment, il répétait des gestes semblables, d’un air concentré,, presque absent.. La matière avait pris la place de son âme. Comme l’enfant que j’étais, il était absorbé par un grain de sable, pétrissant la boue, étonné par la fourmi, caressé par un rai de lumière, surpris par le rugissement d’un avion.

Il nous en laisse un monde livré à ses humeurs (au sens littéral du mot, car cela suinte de partout), à ses odeurs fortes et prenantes, à ses fièvres, à ses mauvais rêves. Oui, une sorte de grande déglingue.

La dérision va jusqu’à l’absurde, mêlant psychologie et boudin à propos de la bouchère (p.59-60).

Mais il arrive aussi qu’un rayon de soleil traverse ce monde plutôt déprimant. Cela fait un petit tableautin, Le trésor de l’abbé Romuald, sucré-salé, doux-amer comme un caramel anglais: non, décidément, le monde, et spécialement le monde d’Alain Bertrand, n’est pas si triste que cela, et il nous réserve encore bien des surprises.

Joseph Bodson.