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Claude Renard, Cela s’est vu, nouvelles, Barry, Chloé des Lys, 2013, 88 p.

Les nouvelles de Claude Renard, à en croire le titre, sont des histoires vraies ou du moins susceptibles de l’être. Elles prennent pour héros des personnages piètres, souvent humiliés,  qui s’ennuient ou trouvent difficilement leur place au sein d’un monde  revêche. Ils appartiennent à cette catégorie d’humains  « qui ressentent toujours le besoin de se prouver qu’ils ne sont pas si bêtes »,  chacun tentant par une action d’« échapper au sentiment de  sa propre insignifiance ». De ces ‘on’ anonymes qui s’engluent dans des idées tournant à l’obsession.

Voici l’amateur d’art qui dérobe lui-même un

C.Françoise Lison-Leroy

tableau qu’il ne peut acheter et qu’il sera le seul à regarder puisqu’il le doit cacher. D’autres se lancent, au cours d’un repas arrosé, dans des discussions théologiques qui ne mènent à rien. Frédéric, lui, se sent valorisé par le crime qu’il aurait voulu commettre mais qu’un autre réalise à sa place. Un autre, pris par hasard dans un fait divers, a du mal à retrouver son incognito après une éphémère célébrité médiatique.

« Quand on est bête sans le savoir, on se croit capable d’agir comme les gens intelligents » : tel est le cas de ce politicien persuadé que ses discours creux très applaudis ont changé la politique de son parti. Jean-Jacques, handicapé des relations humaines, cherche à se faire des amis et ne parvient qu’à être celui de l’amant de sa femme. Gilles est à la recherche de l’équilibre que lui donnerait l’âge de raison. De son côté, Guillaume se résigne à collectionner les veuvages…

Il y a chez Claude Renard un humour permanent distillé à doses régulières. Ce peut être un peu cynique, comme cette proposition de rétablir le service militaire pour les 60-68 ans afin de soulager le coût des retraites en les envoyant mourir sur les champs de bataille du monde. La couleur de son ironie s’épanouit  pleinement dans la nouvelle où le personnage, détenu, passe en revue les types de lettres qu’il est possible d‘écrire mais qu’il n’écrira pas.

Ainsi l’auteur se moque-t-il des conventions sociales artificielles, des stéréotypes langagiers, des formules toutes faites. Il les bouscule à sa façon. D’où des rapprochements insolites et sans doute insolents : «  l’atmosphère ambiante fit sourdre un peu de sensiblerie dans les âmes, à la manière du salpêtre dans les caves ». Il aime miser sur les mots mis en rapport : « elle se leva, ce qui lui donna de la hauteur au sens propre comme au sens figuré » ou  « il avait tant de raisons de se méfier des autres, qu’en se méfiant de lui-même il ne pouvait qu’aggraver son embarras ».

L’écriture affectionne les phrases construites. Non pas la brièveté des ellipses, ni les expansions proustiennes, mais des phrases qui prennent le temps de décrire, de se nourrir de détails choisis afin de rendre visibles des êtres imaginaires. C’est une élégance que le lecteur appréciera.

Michel Voiturier