COMPTES-RENDUS

Le Don du Maître   récit de Désiré-Joseph d’Orbaix préfacé par Renaud Denuit, Éditions SAMSA 2019 (édition originale en 1922).

Un monde ancien défile sous nos yeux écarquillés sur cent ans en arrière.

Et pourtant, ce texte évoque une sorte de continuité dans la durée.

En effet, le métier d’instituteur, s’il n’a plus l’aura de jadis avec aussi autrefois le bourgmestre et le curé du village, reste un métier de vocation même si l’époque actuelle a d’autres difficultés pour l’exercer. On retrouve avec plaisir cette ambiance d’autrefois entre salle de gymnastique, tableau noir couvert de craie et préau aux horloges qui suscitent une éternité presque mythique : « Elles étaient rondes, électriques et simplifiées. Muettes, elles s’observaient toujours de leurs visages renfrognés d’anciennes lunes et elles levaient inversement les béquilles de leurs aiguilles, dans un maniaque entêtement de vieilles ».

Ce livre-musée nous donne une exacte ambiance de l’époque augmentée dans sa dimension historique de l’après-guerre 1914-1918, le style de l’auteur lui-même confinant à une sorte d’absolu jubilatoire à préciser la pensée juste au bon moment dans un genre personnel oscillant entre récit, poésie, chronique sociale à l’occasion et, à mon sens, surtout une grande recherche esthétique qui, poussée dans ses retranchements, confine à la recherche littéraire la plus pure, notamment quand l’auteur versifie :

« Au sommet d’un escalier droit, la salle blanche/ Avec ses bancs-pupitres vernis de lumière/ Le poëlle roux, le rectangle du tableau noir/ Et les signes, sur tout cela, de nos regards/ C’est ici que penché sur vos âmes fertiles/ Ecoutant dans vos cœurs des chants que j’appelais/ J’ai dénombré les fleurs de moissons puériles/ Où les épis d’amour à ma voix, jaillissaient ».

A l’instar du fameux texte « le buffet » d’Arthur Rimbaud, Désiré-Joseph d’Orbaix nous convie à d’autres « parfums engageants ».

L’auteur a aussi ce côté altruiste, engagé quand il pense à la fonction vitale primaire des objets souvent évoqués en transition entre vie initiale et aboutissement qui lui a donné forme à servir la cause humaine, surtout, bien sûr enseignante : « Pauvre tableau noir, sans conscience, sans souvenir ! Tu reçois, oui, mais tu donnes – et bien plus ! ».

Le récit est conçu de manière architecturale « d’intérieur » de façon à mettre chaque élément à la bonne place un peu comme on le ferait pour un décor de théâtre, dans le livre chaque élément se faisant « acteur ».

A l’époque du virtuel, je dirais qu’il s’agit de « réalité augmentée » plus forte et plus précise que celle suscitée par nos écrans plats.

Ainsi prennent vie « l’horaire », le « journal de classe » et même les feuilles mortes de l’automne.

Alternant prose et poésie, Désiré-Joseph relate Vie et Mort du Maître assurant continuité à travers le prisme d’un tableau noir effacé et effaçant : « Sur le pupitre noir, dans la classe blanche, les bras en croix comme oreiller, tandis que vos têtes se penchent à l’unisson sur vos cahiers, le maître dort, crucifié ».

Un texte rappelant avec beaucoup d’émotion une « Saint-Nicolas de guerre » émeut par son côté altruiste, le récit faisant la part belle à une humanité bien comprise malgré ce que peuvent être nos horreurs sous-jacentes.

Ce « Don du Maître » fait aussi la part belle à l’esthétique où, en douce, s’active l’esprit de l’époque « Art Nouveau » avec une perfection sans doute rarement atteinte.

Patrick Devaux