Agnès Sautois, De la part de Mando, éd. Chloé des Lys.

Comme l’y avait amenée, d’une autre manière, sa carrière d’enseignante et comme  en témoignaient déjà ses Histoires médiévales en Brabant éditées à compte d’auteur en 2003, Agnès Sautois garde le goût de nous raconter des histoires qui s’appuient sur des faits, des mouvances ou des destins remarquables du passé.

Elle publie en 2007 Elvira Puccini au Grand Miroir, une forme de biographie de la compagne du célèbre compositeur italien Giacomo Puccini, condamnée à vivre dans l’ombre des héroïnes magnifiques nées des partitions de son mari et plus encore dans celle de ses nombreuses conquêtes féminines. C’est le récit d’une vie  avec, en filigrane, une chronique des courants lyriques où se firent les grands opéras  italiens de la fin du dix-neuvième siècle.

En 2010 , dans La Lettre à Sébastien, roman paru aux éditions Dricot, un événement fortuit entraîne le personnage initial à reculons dans l’espace et le temps sur les traces d’une aïeule inconnue. Son cheminement devient celui du lecteur et le mène jusqu’aux temps des guerres en Vendée et jusqu’au jour du soulèvement madrilène contre l’occupation napoléonienne en date du  2 mai 1808. C’est un récit où nous croisons le peintre Goya et aussi Teresa Cabarrus, alias Madame Tallien ou Princesse de Chimay.

Enfin, en juin 2012, paraît chez Chloé des Lys son dernier ouvrage intitulé De la part de Mando. L’auteure y poursuit sa démarche favorite, entre authenticité et magie, dans la composition du fil narratif et dans le style.

Presque en entête, Agnès Sautois précise qu’elle a rédigé de nombreuses pages de son récit en séjour dans la Maison de la Littérature à Lefkès, sur l’île de Paros, dans les Cyclades. Pas étonnant ! L’île de Paros s’avère précisément le nœud géographique du récit, les personnages principaux y ayant leurs attaches. Et cela, qu’ils soient réellement figures historiques tels John et Mando  Mavroyéni ou bien qu’ils soient fictifs tel l’archéologue d’origine vénitienne du nom de  Lorenzo Pavlidis.

L’action se met en route dès les premiers paragraphes, elle verra le destin de ces personnages et de quelques autres  aller s’entrecroisant en des époques différentes, en des quêtes distinctes, mais en une même intrigue cependant, l’argument majeur étant le rappel des luttes engagées par les Grecs pour leur libération de l’autorité ottomane au début du dix-neuvième siècle.

C’est l’apparition d’une étrange voyageuse en provenance de Venise sur le quai de débarquement d’un ferry à Parikia, l’actuelle capitale de Paros, qui déclenche toute l’histoire. Car l’archéologue s’en trouve extrêmement bouleversé. Qui est cette Magdalena Morosini si semblable dans son allure et jusque dans son patronyme à  la Mando  d’autrefois, Mando Mavroyéni, encore et toujours célébrée dans l’île pour son rôle de premier plan dans la résistance des Cyclades à l’époque des  hostilités ottomanes ?

Et surtout, pour l’âme du vieil archéologue, quelle est la signification profonde de cette apparente et  invraisemblable résurrection ?

Longtemps en poste sur l’île pour y découvrir et pour en classer les trésors, devenu Parien d’adoption, voilà que surgissent en lui, à la lueur de cet événement, tout à la fois, le souvenir des insurrections successives et sanglantes du peuple grec survenues près de deux cents ans plus tôt, le remords personnel d’un acte illicite s’y rapportant et l’urgence qui s’impose, d’un seul coup, d’une enquête immédiate.

Le voici dans l’obligation de tout mener de front : exégète d’une cause qui lui tient à cœur, narrateur d’une confession trop longtemps refoulée et enquêteur privilégié d’une drôle d’énigme.

Le lecteur avancera dans un entrecroisement complexe, rencontrant sur son chemin quelques personnages majeurs comme le poète de Velestinos, Rigas Fereos, chantre de l’identité grecque et initiateur en ce conflit des premiers frémissements de la révolte, il assistera aux regrettables effets des dissensions ancestrales mais aussi aux courageux engagements des peuples helléniques dans le processus de l’indépendance de leur pays. En même temps leur apparaîtra l’imbroglio insensé des influences politiques européennes en mer Égée en prévision d’une probable redistribution des influences et des territoires. Il croisera le poète britannique George Gordon Byron dont son œuvre de philhellène fut, à la fin, déterminante.

Un récit singulier où il est question de convictions, de courage et d’espoir. Une histoire construite en boucle, pourrait-on dire, avec en son centre l’éternelle exigence que les peuples ont de leur liberté.

Comme les lettres du mot ELEUTHERIA reprises en neuf lignes bleu et blanc sur le drapeau de la nation grecque

Jean-Pierre Grandjean