Alain BERENBOOM – La fortune Gutmeyer,, Genèse, 267 pages, 22,5 euros.

Sacré mic mac que nous donne à lire Alain Berenboom . Un polar ? Plus que ça. Tous les ingrédients y sont. L’intrigue : Bruxelles du début des années 50 ; Michel Van Loo, le détective, grand amateur de gueuze grenadine et de son amie Anne, pas toujours très futé, est consulté par Irène de Terrenoir, née Gutmeyer, dont le père, médecin juif tchèque mort à Terezin, est réapparu à Bâle pour clôturer le compte qu’il avait ouvert, avant guerre, dans une banque. Mais, Irène n’est pas Irène et qu’en est-il de Gutmeyer, dont on découvre qu’il s’est domicilié à Bruxelles, place des Bienfaiteurs, à l’adresse d’Hubert, le pharmacien juif, militant passionné mais qui, à cause de sa femme, ne peut opérer la techouva (le retour) et travaille en secret pour Israël. Nous laissons au lecteur le plaisir de découvrir les rebondissements de l’enquête, avec deux assassinats à Bruxelles, et les pérégrinations de Van Loo en Suisse, puis vers Israël en passant par Naples (là, c’est du Malaparte !) avec tout l’humour (juif) dont est capable A. Berenboom.

On se prend à penser à Woody Allen : il y a des choses qui « passent » parce qu’elles sont dites par lui, qu’on n’accepterait pas d’un autre. Ainsi, en règle, on ne touche pas à la shoah, qui bénéficie d’une sorte de sacralisation. Mais ici, Alain Berenboom met en scène un notable juif  ayant réussi à échapper à l’extermination en tendant un piège fatal à ses coreligionnaires. Et « il n’était pas le seul dans le cas…. Des kapos, des dénonciateurs, des collaborateurs zélés… » (p. 255).

A partir de cette enquête on se trouve amené à réfléchir sur Israël, quitte à ce que l’idéalisme en prenne un coup. D’un côté, les Juifs religieux. Et on sait qu’ils s’en réfèrent à cette trinité : erets[1] (la terre), ami (mon peuple)[2], tora  ( la Loi) : « Dieu, la Tora et Israël constituent une unité »[3]. Dans ce contexte, « La mitsva[4] de Yechivat Erets-Israël, d’ « habiter Erets-Israël », à elle seule « équivaut à toutes les autres mitsvot »[5].

De l’autre côté, les Juifs laïcs, les sionistes,  les fondateurs de l’Etat d’Israël . Pour les orthodoxes , « ceux qui ont arraché l’indépendance à l’ONU sont des impies qui n’avaient  pas le droit de proclamer l’indépendance et la souveraineté d’un Etat juif ». A. Berenboom décrit un pays dur, luttant pour sa survie, avec des soldats partout, des baraques en guise de maisons. Ayant découvert ce qu’il en est de Gutmeyer et consorts, Hubert, l’ami pharmacien, qui a accompagné Van Loo en Israël, va « découvrir l’autre face du grand rêve de sa jeunesse, moutons noirs et brebis galeuses », lui « qui avait tant vanté l’idéalisme des fondateurs du jeune Etat juif » (p. 265).

Finalement, tout le monde en prend pour son grade, et cette conclusion : tout cela « prouve que les Juifs sont comme les autres » (p. 255).

Le grand mérite d’A. Berenboom est finalement de nous livrer les réalités d’Israël, sans prétention aucune, à travers un polar dense, aux multiples surprises, avec en filigrane continu un extraordinaire humour… juif.

Allez, Alain Berenboom, je vous invite à déguster une gueuze grenadine à Bruxelles, place des Bienfaiteurs, et, en attendant : Mazel Tov !

                                                                                              Michel Westrade

                                                                                              27 avril 2015

[1] Selon le Midrache, Israël nikra erets : « Israël est appelé terre ». V. A. Safran, Israël dans le temps et dans l’espace, Payot, 1980.

[2] Isaïe, 51, 16 : « … disant à Sion : Tu es mon peuple ». Et dans les « Préliminaires » du Zohar : « Qu’est-ce que la Rose ? C’est la Communauté d’Israël ».

[3]  Zohar III, 73a

[4] Précepte biblique ou rabbinique.

[5] A. Safran, o.c., p. 24.