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 Charles quitte Bruxelles pour s’établir dans un village ardennais. À partir de ce sujet somme toute assez banal, Alain Bertrand compose un roman chargé à la fois d’actualité et de poésie.

Le titre, Le Lait de la terre, fournit une des clés de l’œuvre : le monde agricole, ses joies et ses peines, vus au travers d’une galerie de personnages tous aussi vrais que nature. Maria élève des escargots, Louis conduit son tracteur, André est un grand amateur de bière d’Orval. Et puis surtout il y a Irène dont le mari a mystérieusement disparu, ce qui laisse une porte entrebâillée sur le rêve, pour un héros solitaire, citadin et égaré dans ce monde paysan.

Se référant à une actualité récente, l’auteur met en scène une révolte des producteurs laitiers, lassés de travailler pour un salaire de misère et d’affronter toutes les complications de la législation européenne. Charles, enseignant de son état, éprouve bien des difficultés à s’intégrer dans ce milieu. Une occasion favorable se présente lorsqu’Irène, après un affrontement violent avec la gendarmerie, est arrêtée : Charles va s’occuper de ses bêtes. Toutefois, comme nous sommes dans un univers où tout se passe au rythme lent de la germination, il devra faire preuve de patience pour éveiller son amour. C’est le second ressort du roman, que l’auteur met en mouvement avec beaucoup de finesse et de doigté. Le chemin sera long du désir – « Car il aimerait aborder ces bras tachés de rousseur, à la chair drue » – à l’amour : « Je suis là, Charles, comme vous êtes là, et je vous aime. »

Il faut souligner aussi la qualité stylistique du Lait de la terre. Alain Bertrand est un véritable orfèvre du langage. Quelle que soit la réalité évoquée – nature, bêtes, hommes et femmes, sentiments et émotions – il jongle avec les métaphores, les métonymies et les comparaisons : « Il voudrait pétrir les épaules de l’amour une dernière fois, s’effondrer dans la chevelure de feuilles mortes. »

L’auteur est le roi de la description, ce qui est plutôt rare à notre époque où l’on privilégie le style dépouillé. Il caresse les mots comme le gastronome se délecte d’escargots ou de lapin aux pruneaux. Citons la description des engins forestiers en action ou encore celle de la Gaume, « fille de joie adossée à l’Ardenne boisée… »

Jacques Goyens