Aloys Misago –La descente aux enfers –  préface de Marc Quaghebeur – A.M.L. Editions – Archives et musée de la littérature – 126 pages

Dans sa préface, Marc Quaghebeur nous cite la triple trame de ce livre, son intérêt d’un point de vue humain (un homme capable de dépasser la haine), d’un point de vue historique et géographique (un moment de l’histoire d’un peuple et d’un pays).

Le roman nous présente les circonstances du massacre des Hutus burundais de sexe masculin par les troupes du président Micombero (Tutsi et chrétien) en 1972 et nous conte comment, sous prétexte de mater une révolte locale, le président a étendu la répression à un massacre préventif de centaines de milliers de Hutus. La rébellion aurait pu être contenue très facilement – quelques rebelles armés de machettes contre l’armée de l’Etat. Mais, pour garantir une paix définitive, le président a préféré ratisser large, enlevant et fusillant tous les hommes valides dans les champs, dans les foyers, dans les écoles, dans les commerces, décapitant ainsi l’ethnie des Hutus – uniquement les hommes, car les femmes ne risquaient pas de revendiquer le pouvoir et n’étaient pas à craindre.

C’est ainsi que tous les hommes de la famille de Ndayi ont été exécutés, son père et ceux de ses frères qui n’avaient pas quitté le pays. Le petit Mukosi, douze ans, avait été épargné. Ndayi, par contre, à quatorze ans, aurait fait partie de la fournée s’il n’avait été loin, interne au collège. Etre à l’internat constituait un privilège. Seuls 31% des enfants suivaient un enseignement primaire, 5 ou 6% atteignaient le secondaire. Limiter l’accès à l’école, c’est limiter l’accès au pouvoir. De retour chez lui, Ndayi devenait donc un élément dangereux, étant donné son niveau d’instruction. Et voilà les deux frères à leur tour dans le collimateur des tueurs. Le régime de terreur les poussera à affronter de grands périls pour fuir, se cacher et finalement s’exiler en Tanzanie.

Comment une telle opération de tuerie systématique a-t-elle pu se dérouler sans rencontrer de résistance et apparemment, sans heurter l’opinion des puissances voisines ou lointaines ? La raison du plus fort est toujours la meilleure et l’on préfère soutenir le pouvoir et l’ordre en place plutôt que la rébellion, qui peut faire boule de neige… N’est-ce pas Montherlant qui disait : une injustice vaut mieux qu’un désordre ? Question de point de vue. Il faut savoir qu’il existait une rivalité latente entre Tutsis au pouvoir et Hutus souvent dominés. Ces deux peuples cohabitaient en plus ou moins bonne entente. Ils se différenciaient par les traits physiques – grande taille, long nez, lèvres fines, front haut pour les Tutsis ; petite taille, nez épaté, lèvres épaisses et front court pour les Hutus. Mais au cours des siècles et des mariages interethniques, ces caractéristiques avaient tendance à disparaître. Comment, dans ces conditions, reconnaître les hommes à abattre, sans se tromper ? Tout simplement en connaissant leur famille et leur clan. Selon le principe de l’élargissement de la culpabilité, un criminel rend criminel toute sa famille, son clan, son peuple et cela justifie des représailles de grande envergure. Cela dépasse même le pays puisque Mobutu a envoyé des avions de combat pour soutenir Micombero. C’est la loi du plus fort : les Tutsis massacreurs vont s’approprier les biens des Hutus massacrés… Et la vie reprendra, vaille que vaille. De retour au pays, Ndayi doit se cacher. La peur rôde toujours. Pour les victimes, bien sûr. Mais aussi pour les tueurs, qui craignent la vengeance des enfants des victimes et des milliers de réfugiés au Rwanda, au Congo, en Tanzanie, qui pourraient bien revenir enflammer le brasier.

Quel avenir bâtir sur ce terreau de terreur, de massacres, de haine et de rancune ? Ndayi est chrétien. Le père Boonen lui tend donc une perche chrétienne : Il faut pardonner, mon fils. C’est la seule solution pour te libérer de ce poids, de cette douleur, de ce besoin de vengeance qui accapare toute ton énergie. Et repartir étudier… pour remplacer un jour les enseignants qui ont été tués. Pour repartir à la conquête des valeurs de solidarité, d’humanisme et de justice détruites par ces tueries. Ndayi, sous l’impulsion du missionnaire, va se donner une mission : témoigner que ces morts n’étaient ni traîtres ni criminels ; ils sont morts pour que l’amour triomphe, dans la lignée sacrée des martyrs.

Si une réconciliation est possible malgré ces massacres, le pays peut renaître. C’est la seule solution. Mais quelle force d’âme elle demande.

 

Isabelle Fable