ANNE BONHOMME ET SES « ARCHIVES »

Un huitième livre de poèmes en vingt et un ans de création. Deux éditeurs : L’Arbre à paroles et Le Coudrier. Voilà le troisième recueil qui paraît à l’enseigne du Coudrier, au titre toujours aussi bref, après « Exercices », il y a trois ans, ARCHIVES, sorti spécialement pour la Foire du livre de Bruxelles.

L’auteur a trouvé depuis ses débuts une voix, un rythme et des thèmes personnels. De longs poèmes aux vers brefs, entre descriptions réalistes et considérations mythiques, entre le souffle de la mélopée et les constats urgents à se dire, en toute pudeur, sans gommer les aspérités de l’existence. Les peuplades primitives désolées, les peintures et les images, la ville sont des lieux spécifiques, qu’elle prolonge, approfondit, fore loin. Ce que le beau livre de 2008, « Ici-là-bas », dessinait, se retrouve en partie sous une autre lumière. Puisqu’il faut sauver les îles, « ces filles d’absolue beauté », puisqu’il faut renaître aux vraies images terriennes et aquatiques, puisqu’il s’agit en tant que poète d’élever la parole à la hauteur des vrais débats de civilisation, à l’heure où la beauté et la bonté sont rognées de toutes parts.

Trois parties structurent une pensée fondamentale des paradis perdus, non seulement les îles, les peuples, mais quoi, notre enfance, mais quoi, notre monde qui se fait vieux.

Anne Bonhomme, dans une partie centrale de toute gravité, consigne un ton de solitude et de tristesse. Que savons-nous de la réalité? Et « écrire », serait-ce la seule manière de relayer ces « oeuvres perdues »? La poétesse rameute l’enfant de ses quatre ans, qui « n’a jamais été gaie » : de quoi peut-elle se « consoler » et quelle « trace » laisser au monde?

Les beautés affleurent sans un trémolo, dans une justesse au long cours :

« Un enfant tourne/ dans l’espace/ sans casque touche à peine/ ses vieux cheveux de/ raphia »

ou

« Prends-moi dans tes bras/ vieille planète/ et berce-moi de tous tes/ lacs étincelants ».

Le détour mythique de « LA-FEMME-QUI-ECOUTE » ou de la mort qui attend les hommes donne à l’ensemble une densité palpable d’approche philosophique des mondes; Anne Bonhomme sait, ô combien, tisser dans ses poèmes amples toute l’aventure intérieure d’une préservation des beautés à l’oeuvre; sa poésie nous questionne, nous insuffle sa dose d’admiration de ce qui reste, en dépit de toutes les saccades, de tous les saccages.

Notre âme doit conserver ses « Archives », cette « lumière (qui)coule », « une palpitation » « pour tous les coeurs du monde ». Notre oeil doit mesurer sa chance, toutes pépites rassemblées, entre ciel et mer.

Sans verser dans la tragique option, Anne Bonhomme délivre une vigilance de tous les instants, pour que nous ne sombrions pas, faute d’avoir vécu.

Inépuisable poésie, dont les éléments fondamentaux agencent les beautés, sans aucune lourdeur formelle : les images coulent elles aussi de source, vivifiantes comme le tribut d’un oeil éveillé, toujours apte à déloger du monde ses merveilles mêmes périssables.

Anne Bonhomme, Archives, Le Coudrier, 86 p., 15€. Belles illustrations de Simonne Devylder.

Philippe Leuckx