-+Anne Bonhomme, Temps noirs, poèmes, ill. Simonne Janssens, éd. Le Coudrier, 54 pp, 14 €.
Un recueil qui est, me semble-t-il, sinon le plus beau, du moins le plus fort, le plus intense qu’Anne nous ait livré jusqu’à présent. Un poème qui est parfois, comme à la p.14, une description, presque un récit, un royaume vide. Les métaphores de la guerre, qui sont aussi ses métamorphoses, des images dominantes qui se rattachent bien souvent au vide: trous d’obus/trous de mémoire/pays sans corps et sans histoires. Et, terrible, p.17, cette sorte de malédiction: ce pays/n’a plus besoin d’enfant, et, p.18:Nous/enfants de la guerre/nous allons/à tous petits pas/nous ne serons jamais heureux.
Les images de l’enfance – de la non-enfance – côtoient celles de la guerre. Toutes les idées, les réalités, sont affectées d’un signe négatif. Elle a donné de nouveaux noms/tristes et superbes/forts et périlleux/à tout ce qui subsistait (…)mais à part elle/qui retiendra tout cela. (p.23)
Une densité, une concision extrêmes. Ici, chaque mot porte, chaque mot se fait flèche, visant la cible immuable du néant. Waste land – il ne reste que sable et poussière. L’auteure, elle, se fait discrète, s’efface, jusqu’à n’être plus, presque, qu’un pronom impersonnel. Par la formulation, par l’image qui frappent, qui déstabilisent, qui ébranlent le cœur. Rien d’obscur, ici, tout est transparent, et en même temps, terriblement prégnant. L’injonction finale a quelque chose , p.39:
les fantômes ne disent pas cela
ils disent
étreins-moi étreins-moi
de tout ton corps
si doux
chante-moi ta prière d’amour
encore quelques secondes
touche mes lèvres
au-dessus des morts
la pluie
rafraîchit la bardane
la mûre encore verte
le solitaire prunellier
le monde bruissant des hauts arbres
nous sommes une entaille
dans le temps des vivants.
A lire de toute urgence.
Joseph Bodson