derèseAnne-Marie Derèse, Le sang de la chevelure, roman, éd. Muse, 2014, 115 pp, préface de Michel Cliquet.

Pour son premier roman, Anne-Marie Derèse a choisi un thème romanesque et tragique à souhait: celui des amours interdites, des malheurs qu’elles entraînent (mais nous savons qu’il n’y a pas d’amour heureux, ou si peu…), et comme cadre, sa région d’origine, et les gens de Floreffe, Franière y reconnaîtront avec plaisir des endroits qui leur sont familiers: Maudit Tienne, le château à l’orée de la forêt, la Sambre…Un cadre tout indiqué, par le passé dont il est tout imprégné, pour nous plonger dans une atmosphère un peu irréelle. Et ses personnages, féminins surtout, ont l’air de sortir tout droit d’un tableau d’un peintre préraphaélite, Burne-Jones ou Dante-Gebriel Rossetti.

Et c’est vrai que les scènes d’amour sont écrites avec une passion qui vous emporte, qu’elles ont des rebondissements inattendus, et que nous nous attachons très vite aux personnages, aux péripéties dramatiques qui les attendent. Il y a là, aussi, une scène d’accouchement qui est très poignante. Et l’amour des personnages féminins semble passer de génération en génération, avec des accents véritablement maternels. Et puis, il y a le dessin, la peinture, et la nature qui est, ici, bien plus qu’une toile de fond.

Il y a là quelque chose de féérique, de fantastique, jusqu’au moment où l’auteure nous ramène dans des paysages familiers. C’est comme un grand remous, un coup de vent qui transporte les personnages dans un monde autre. Comme le dit justement Michel Cliquet dans sa préface, une sorte de mise an abyme de l’artiste visionnaire, recréant, à l’image de la Déesse, sous notre regard attendri, instant après instant, épreuve après épreuve, dans l’innocence originelle, ce personnage que nous cachons tous au plus profond de nous: notre Moi intime et secret. C’est l’amour qui nous donne notre vraie dimension, en nous amenant à nous transformer pour répondre à l’amour de la personne aimée, et c’est en ce sens que Plotin pouvait dire: Ne cesse de sculpter ta propre statue. Car ce n’est pas pour nous seulement que nous vivons, et tout ce cadre qui est le nôtre, châteaux, fleuves et forêts, se trouvent, en même temps que nous, emportés dans ce grand souffle, par la magie du souvenir et des années de l’origine.

Joseph Bodson