Anne Renault, Suicide dans l’après-midi, Chloé des Lys, 2012

Un recueil de nouvelles, ou plutôt de brefs romans en suspens, qu’une Française du Sud-Ouest, très éprise de notre littoral et de sa perle envoûtante et ensorienne, Ostende, nous envoie dans une édition belge que nos lecteurs connaissent bien. Six parties, aussi sombres l’une que l’autre, d’une écriture cinglante et crue, trempée dans une soif de s’exprimer sur sa vie de femme et d’intellectuelle, six parcours sur le sable marin ou dans son pays natal, la Charente, six randonnées éprouvantes qui entraînent le lecteur vers une fin de journée qui le sera bien davantage.Le sens de la vie, c’est qu’elle a une fin, devait se répéter Kafka entre les stations de son chemin de croix, et ce n’est pas par hasard que l’auteur revient sur cette phrase, avec une sorte de jouissance amère et qu’elle nous la jette à la figure sous forme d’exergue. L’intérêt du livre est moins littéraire qu’humain et philosophique : comment vivre et s’accrocher aux splendeurs du monde, tout en étant trop « voyant », trop sensible et surtout extrêmement exigeant vis-à-vis de ses semblables ? Rien ne nous est épargné de la difficulté d’être et de l’impossibilité d’échapper aux contingences, aux médiocrités ambiantes, aux pièges, aux énigmes insolubles de l’existence. Un père qui refait sa vie et vous lâche au beau milieu d’un éphémère paradis d’été, un photographe qui étouffe de malaise devant une nature morte d’une vérité et d’une intensité insoutenables, un vieil amant insupportablement sûr de lui et dédaigneux des autres, un paysage d’une enfance retrouvée parasité par un intrus, un homme qui ne dort plus comme il faut dormir pour ne pas sombrer dans le cauchemar de vivre…voilà de quoi méditer durant des après-midis entières et choisir, le soir venu, ou d’écrire soi-même une réponse à l’auteur ou d’aller se promener, le long de la mer, en savourant sa liberté de penser, d’être d’un avis tout autre et de rêver de lendemains qui chantent à l’horizon…

Ainsi donc un livre peut nous retourner comme une simple éponge de seiche sur l’écume des jours, un de plus, nous dira-t-on, dans la longue marée noire des romans ou récits qui nous inondent le coeur avec notre étrange consentement…

  Michel Ducobu