Anne Sinclair, 21, rue La Boétie, Grasset, 300 pages, 20,50 euros

Anne Sinclair rend ici hommage à son grand-père maternel, Paul Rosenberg, et retrace l’itinéraire assez extraordinaire de ce marchant d’art éclairé.

L’hommage est émouvant à plusieurs titres. D’abord parce que nous entrons d’une certaine façon dans l’intimité des longues relations que Paul Rosenberg a entretenues avec des peintres immenses tels Picasso, Matisse et Braque (notamment), qu’il a dans une grande mesure contribué à faire connaître. Ensuite, parce que l’auteure redessine en même temps le chemin de sa propre histoire. Pour comprendre. C’est avec une persévérance touchante qu’elle recherche et fait ressurgir du passé un tas de souvenirs un peu confus et souvent enfouis très loin.

Le livre, qui tient à la fois de mémoires, de livre d’histoire et de récit introspectif,  est écrit dans un style plutôt journalistique, et ce n’est pas là que réside son intérêt.

Il est dans la foule d’informations recueillies et les nombreuses références, dans la restitution minutieuse de ce petit pan d’histoire. Dans les correspondances intimes et sans détours que l’on découvre, entre Paul Rosenberg et son ami de cœur, Picasso, ou encore avec Matisse.

 » Il me semble que vous voulez trop de la vie, écrit Paul en réponse au courrier nostalgique d’Henri Matisse. « Qu’est-elle? Un quart d’heure de bonheur, le reste d’ennuis, de souffrance et de doutes! Voulez-vous (…)avoir le don céleste de créer (…)sans en avoir les peines? » 

Fils d’un antiquaire parisien, à seize ans Paul Rosenberg parcourt les musées, pour apprendre. Il ne tarde pas à entrer dans les affaires de son père et ouvre sa première galerie d’art à Paris en 1911. Au 21, rue La Boétie. Des Géricault, Ingres, Cézanne, Monet, Renoir, Bonnard… Déjà visionnaire.  » Il est vrai que tous ceux qui venaient à la maison et qui étaient pourtant collectionneurs ou connaisseurs s’esclaffaient devant un Monet bleu ou jaune disant qu’on ne connaissait pas d’équivalent dans la nature ». Un peu plus tard, poussé par un infaillible instinct, il vend des toiles d’impressionnistes pour acquérir, soutenir et « imposer »  les œuvres de peintres qui allaient devenir plus tard les grands de l’art moderne. En 1918, il devient le principal représentant de Picasso. En 1940, il émigre aux Etats-Unis après avoir mis plus ou moins à l’abri quelque quatre cents tableaux ; hélas, les nazis (qui traquaient ce qu’ils appelaient « l’art dégénéré ») parviennent à s’emparer d’une grande partie de ceux qui sont restés en France. Certains sont détruits, d’autres vendus. Un certain nombre sont par la suite récupérés et restitués à la famille.

 

Martine Rouhart