Béatrice Libert, Un chevreuil dans le sang, poèmes., préface de Laurent Demoulin, Anthologies de l’Arbre à paroles, Amay, 2014, 150 pp, 15 €.

Ce volume réunit Lalangue du désir et du désarroi (1995), Le Bonheur inconsolé (1997), et l’Instant oblique (2009).

chevreuilIl y a chez Béatrice Libert un va-et-vient constant entre le stable et l’instable, avec des moments qui sont comme des engrenages, de brusques mutations.une dialectique du silence et de la parole. Et, parfois, comme à la p.35, le vide, l’oubli, comme un écho de Maître Eckhart. Il y a effectivement chez elle quelque chose de religieux, proche même des mystiques, ainsi de Thérèse d’Avila qui disait: Je meurs de ne pas mourir. Avec une tendance très nette à l’opposition tranchée qui était celle des cathares entre le bien et le mal, la nuit et le jour, l’obscur et la lumière.

C’est la transposition en cette langue, cette dialectique de la mystique de tout un monde poétique abreuvé aussi à d’autres sources. Ainsi, pp.52-53, les objets sont plus que des objets, une présence, un être-là qui les personnifie. Parfois elle les dote de la parole. p.69, nous assistons à une sorte de dédoublement de la personnalité, l’attente d’une nouvelle naissance, mais de quelqu’un nourri et porté par l’ancien moi.

Elle a parfois ce don rare de la formulation heureuse, de ces deux ou trois vers qui sont donnés, et non cherchés. Donnés dans une sorte d’état de grâce poétique, quelle qu’en soit l’origine. Ainsi, dans L’Instant oblique, Exorcisme:

N’écoute pas tomber le soir

dans le ravin de la tristesse

Il a une ancolie sur le cœur

Ainsi peut-être ce que les Grecs appelaient θαμβος., une sorte de possession, dont la frayeur n’est pas tout à fait absente. Pour moi, ce sont les plus beaux, le cœur de l’œuvre. Ainsi aussi, dans Doublure:

Une petite fille chante en moi

depuis la première aube

Trobar clar, allégresse faite aussi du souvenir, de la tristesse du temps qui passe, mais n’empêche pas la durée, la continuité. Un repli sur soi pour venir à bout de ce monde qui n’est que cendre. Mais c’est aussi le présage d’un retour au monde pour le revivifier. Ce thème de l’inscription dans la fuite du temps lui tient particulièrement à cœur, et donne lieu à de belles réussites:

L’eau claire ne craint pas le vide

elle le boit comme une ombre les racines.

ou bien encore:

Ecoute dit-elle le vent

Il ravaude l’odeur des vergers d’autrefois

la senteur des vieux murs des rues sans lendemain

où la vérité de l’image rejoint la profondeur de l’imaginaire. Oui, un recueil d’une profondeur lucide, qui nulle part ne versera dans l’obscurité voulue, tâche au contraire de dénouer, autant que faire se peut, l’ambiguïté de notre destinée.

Joseph Bodson