Bruno DAYEZ, Les trois cancers de la justice, Anthemis, 2012, 53 pages, 15 euros.

On la voit parfois au fronton de ses temples. Nul n’y prête plus guère attention. C’est qu’elle est mal aimée, la justice. « Eh oui, mon bon Monsieur, que voulez-vous, on ne punit pas assez. Moi, je vais vous dire comment il faudrait le juger, cette petite canaille. Et puis, la victime, hein, est-ce qu’on y pense ? Mais qu’est-ce  qu’ils font, les juges ? »

Ce bref monologue reprend, à sa façon, les trois maux dénoncés par Bruno DAYEZ : le sécuritaire, le médiatique et le victimaire.

Le sécuritaire, ou l’on voit que la sécurité devient valeur prééminente et gangrène la justice aux stades de l’information pénale, du jugement et de la peine. Dans ce contexte, la peine ne se présente plus comme sanction, mais comme garantie face à un péril, d’où vient qu’on évacue la notion de rétribution, qui est, avec les principes d’égalité entre justiciables, et d’équité, donc de mesure, un des principes fondamentaux de justice. On est ici en plein populisme, là où la logique sécuritaire veut qu’on punisse au regard d’un danger présumé et non plus en proportion de la gravité des faits commis. Prévenir le crime n’est pas l’œuvre de la justice, celle-ci n’intervenant qu’après coup. Qu’on nous permette – et cette opinion n’engage que nous – de dénoncer vigoureusement la manière dont la Belgique a transposé la décision-cadre européenne du 28 novembre 2008 [1], débordant son objectif, en introduisant dans le Code pénal un nouvel article 140quater, laissant au juge la tâche d’évaluer un risque . Ainsi en arrive-t-on à cette situation qui permet de poursuive une intention ! Cette loi, adoptée après la parution du livre de Bruno DAYEZ, suffit à démontrer combien est réel le danger dénoncé et illustre bien comment il peut se matérialiser.

Enfin, c’est une hérésie de prétendre qu’une répression accrue permettrait d’assurer notre sécurité.

Le médiatique ou la justice qu’on voit à le télé. Et ici, on joue sur la « tripe », l’émotionnel, le verdict se devant d’être conforme à l’opinion. On se situe au plan de la représentation – on pourrait dire de la liturgie- élément indissociable de la justice, tel qu’exprimé dans une sentence britannique de 1924  : « Not only must Justice be done ; it must also be seen to be done ». C’est qu’il s’agit, comme l’écrit très justement Bruno DAYEZ, de « confisquer à la justice sa force de représentation », laissant place au voyeurisme.

Le victimaire, enfin. Il y a beaucoup à dire à cet égard et Bruno DAYEZ expose clairement cet aspect plus technique de la problématique. En résumé : que chacun occupe la place qui lui revient dans le système judiciaire d’une démocratie. Qu’on comprenne enfin qu’il y va d’une garantie pour la liberté de chacun : l’Etat, par le canal du ministère public, exerce l’office de poursuite. Sur cette action, dite « publique », vient se greffer l’ « action civile » visant à la condamnation du coupable à des dommages-intérêts. Or, à quelle parodie de justice assiste-t-on ? A une mise sur pied d’égalité du plaignant et du suspect. Invraisemblable. Laissera-t-on à la victime l’appréciation de la faute commise ? Il faut en revenir à ce principe élémentaire selon lequel la mesure de la peine se trouve dans la gravité de la faute commise et non dans la gravité des conséquences engendrées par l’acte.

A contre-courant de l’opinion publique, Bruno DAYEZ nous livre un réquisitoire contre les trois cancers qui, non seulement rongent la justice, mais s’inscrivent à rebours d’une saine conception de la démocratie. Bien sûr, l’époque est-elle aux émissions telle « Au nom de la loi » ou « Témoin n° 1 ». Mais, ne baissons pas les bras. Il faut oser dénoncer et on suivra l’auteur de ce court texte dans ce qui, finalement, contre tout populisme, tout voyeurisme, est un plaidoyer pour la démocratie.

On terminera sur cette image de la justice, ci-dessus évoquée, en attirant l’attention sur le bandeau qui lui voile les yeux. Donnant à la justice pareille figure, peut-être entend-t-on manifester par là qu’on ne voit bien que de l’intérieur, à l’image de cet Œdipe, devenu sans regard, qui « voit mieux que celui d’autrefois » [2]. Oui voir de l’intérieur, alors que les médias, règnent en maîtres, activant les pulsions les plus basses, dont l’émotion, le voyeurisme, l’instinct de vengeance, la peur. Oui, qu’on prenne garde, là où la justice vacille, c’est tout le système démocratique qui est mis en cause, en l’espèce, de façon pernicieuse, latente, perverse. Merci à Bruno DAYEZ d’avoir tiré cette sonnette d’alarme.

Michel Westrade

[1] Texte voté par le Sénat le 7 février 2013.

[2] H. BAUCHAU, Œdipe sur la route, J’ai lu, p.35.