Charles Léonard – Congo,  L’autre histoire – De Léopold II, fer de lance de l’anti-esclavagisme, à l’esclavagisme des multinationales – éd. Masoin – 448 pages

Découvrir le Congo, de l’avant-colonisation à nos jours, en passant par la période coloniale et l’indépendance, à travers les yeux d’un homme qui y a vécu une grande partie de sa vie et qui l’aime profondément. Charles Léonard a, en effet, travaillé une dizaine d’années au Congo Belge et une trentaine d’années au Zaïre. De retour en Belgique à l’âge de la retraite, il a suivi de loin l’évolution du pays. Et tout ce qu’on en a dit. Les « anciens du Congo» donnent souvent des démentis à des assertions fausses. Mais la presse leur refuse ses ondes et ses colonnes…
Dans son livre Congo – L’autre histoire, l’auteur relate les événements avec l’œil d’un historien, d’un sociologue, d’un humaniste et remet les pendules à l’heure en ce qui concerne la colonisation belge. Ce qui l’a déterminé à prendre la plume, à 82 ans, c’est la volonté de donner un autre point de vue sur cette colonisation. Le point de vue d’un Belge très bien intégré au peuple congolais, dont il connaît la culture et la langue (lingala) et avec qui il a toujours entretenu les meilleures relations.
Le livre est intéressant à plus d’un titre. Tout d’abord, il explique pourquoi et par qui la colonisation belge a été décriée. Et pourquoi, au lieu de nous sentir coupables, nous devrions être fiers de ce que les Belges ont réalisé dans une contrée immense, complètement inconnue et sauvage. Loin d’avoir exploité les indigènes, comme on l’en a accusé, Léopold II a, au contraire, été à la base de la lutte contre les esclavagistes arabes, qui sévissaient en Afrique noire depuis de nombreux siècles, et il s’est toujours soucié de la population indigène. En vingt ans, il a instauré une administration remarquable, des voies de communication (fluviales, terrestres et ferroviaires), des écoles, des hôpitaux…
La campagne de diabolisation de Léopold II et de sa gestion du Congo, menée par l’Angleterre et relayée sans aucune vérification par la presse, est en fait basée sur des calomnies. Une enquête internationale a été ordonnée par Léopold II et il en est ressorti tout à fait blanchi et félicité pour la façon dont il menait la colonisation belge, qualifiée à l’époque de « remarquable ». Mais les résultats de cette enquête, aussi officielle pourtant que les accusations, sont passés sous silence…
Charles Léonard nous décrit la mise en place d’une nation là où il n’y avait que la nature hostile et des tribus rivales, décimées par des conflits perpétuels, des maladies, des famines, et bien heureuses finalement d’être délivrées des esclavagistes arabes qui fournissaient le Moyen-Orient, mais aussi la France (liberté, égalité, fraternité), l’Angleterre (démocratique), l’Amérique (chevalier de la liberté)… Des esclavagistes qui tuaient ceux qu’ils n’emportaient pas, après avoir brûlé leur village. Mieux vaut sans doute être boy ou travailler dans une exploitation en étant payé, logé, nourri, soigné, instruit, plutôt qu’esclave, arraché à son pays, castré si on est un homme, violée si on est une femme – à condition d’arriver en vie à destination, ce qui était loin d’être le cas de tous, après une traversée enchaînés à fond de cale.
Tout n’a pas été rose dans la colonisation, bien sûr, à commencer par les difficultés insurmontables rencontrées par les Européens, qui ont souvent payé de leur santé et de leur vie les quelques années passées au Congo pour réaliser leurs missions d’exploration et de mise en place d’institutions et de services pour la population indigène. Il y eut sans doute parfois du racisme. Mais, quoique paternaliste et en décalage avec les cultures traditionnelles, la présence des « nokos » (oncles) belges, des « mundele » (Blancs) n’était pas ressentie comme négative par la population, qui constatait l’amélioration de ses conditions de vie.
Le « Congo Belge » a apporté beaucoup, aux Congolais comme aux Belges. Quant à ne pas avoir formé des élites capables de prendre le relais – ce qui a été reproché – l’auteur rétorque que l’enseignement primaire et secondaire était de qualité et que les meilleurs élèves africains étaient envoyés faire leurs études universitaires en Belgique, avec une bourse. La création d’universités était programmée mais l’indépendance a été réclamée (à l’instigation d’autres pays africains) et accordée vingt ans trop tôt. L’élite congolaise en formation n’était pas encore prête à reprendre le flambeau et à gérer le pays en toute indépendance. La Belgique a coopéré de son mieux au pays nouvellement indépendant. Mais en cinquante ans d’indépendance, le Zaïre/Congo a connu et connaît encore bien des misères et des déboires. Et la situation s’est complètement dégradée.
L’auteur nous expose les faits dans un ouvrage objectif, documenté de façon très complète et très précise, se basant sur des documents officiels et des courriers inédits, effectuant un vrai travail d’historien. Pour la partie plus récente, qu’il a connue, il s’appuie notamment sur les numéros de « Conjoncture économique » du Zaïre, qu’il a rédigés au cours de sa carrière. Il passe en revue les événements politiques et économiques, l’évolution du pays sous la férule de Kasavubu, Mobutu, Laurent Désiré Kabila et Joseph Kabila. Il raconte point par point comment le pays se débat depuis cinquante ans dans d’inextricables querelles politiques, luttes pour le pouvoir, guerres, massacres. Il explique l’ingérence intéressée des pays voisins, des pays européens, des USA et de la Chine, attirés par les immenses richesses minières d’un Congo incapable de se gérer et de se défendre. Il raconte la corruption omniprésente, le dépeçage de l’industrie minière au profit de quelques Congolais au pouvoir mais surtout au profit des multinationales de pays étrangers, qui se servent royalement, en laissant aux Congolais des parts dérisoires, un véritable pillage des ressources du pays.
Cuivre, cobalt, coltan, or, diamant, pétrole… Le Congo possède tout et se fait magistralement déposséder. La population congolaise est actuellement une des plus pauvres du monde. Et les multinationales sont bien les nouveaux esclavagistes, comme le dit l’auteur. Mobutu avait tellement bien endetté le pays que ni l’Europe ni les USA n’ont plus voulu engager d’investissements. La Chine s’est proposée et maintenant, elle est bien placée sur l’échiquier congolais.
Quel avenir pour le Congo, face aux vautours qui ne reculent devant rien, ne respectant ni la population (comme ces petits creuseurs de mine qui travaillent en surface à mains nues) ni la nature (comme le parc national des Virunga, gravement menacé par la folie humaine, qui braconne, massacre à tour de bras et envisage même l’extraction de pétrole)?

Isabelle Fable