Christine Van Acker, La concordance du temps, Noville-sur-Mehaigne, Esperluète, 88 p. Préface de Hubert Haddad, illustrations de Véro Vandegh.

Livre hybride, donc mutant, donc attisant une curiosité de lecture. Il est poésie, théâtre, féérie, légende car les genres s’y côtoient, s’entrelacent. Ce pourrait bien être, comme le suggère Hubert Haddad dans sa préface « un bel et cruel opéra, dans la tradition de Pelléas et Mélisande ».

Les voix sont celles du Vieil Homme du Phare, d’une Jeune Fille aux longs cheveux qui l’aime, de l’Homme-Oiseau prédateur, de la Sorcière du Puits. Leurs paroles disent le ressenti, elles traduisent le rêve, elles sont monologue intérieur de la pensée, elles sont aussi dialogues. Et il est vrai que parfois elles ont des accents similaires à ceux de Maeterlinck.

Le vieillard sait le vieillissement et la mort proche, la solitude. La femme exprime sa vitalité, sa beauté, son enfance ludique, la sensualité vibrante qui s’inquiète de la brutalité du désir masculin, sa quête de liberté mâtinée de peur, le sentiment de sécurité que lui inspire le patriarche car « celle que je vois / dans son regard à lui / je sais que c’est moi ». Le guetteur épie sa proie, la manipule, tente de la culpabiliser, la malmène, la contraint. La rebouteuse, traditionnelle mais rebelle, s’irrite qu’on la dérange, conteste les règles immémoriales des vœux à exaucer, s’englue dans l’aigreur du non-amour.

Les mots s’égrènent. Les dires se croisent : alors la typographie aide le lecteur à reconnaître qui parle. Et le voici emporté par la succession des phrases, par les répétitions, par la simplicité d’un vocabulaire qui cependant touche aux mythes profonds. La symbolique de la mer, celle du phare et du puits antinomiques, celle du temps et du déclin, celle de la distance qui sépare les anciens des nouvelles générations… sont porteurs de réflexion sur le sens de la vie.

Le texte lui-même, découpé en segments, mis en entrelacs se perçoit comme une musique qui joue ses motifs répétitifs, qui se déroule à la façon d’une mélodie. On attend qu’un musicien s’en empare pour justifier l’intemporel de l’histoire et prendre un envol que les lignes imprimées sur papier sont impuissantes à générer seules. Sans doute est-ce alors que « la concordance du temps » entre celui qui a vécu et celle qui aspire à vivre se produira. Ce que traduisent bien les gravures de Vero Vandegh, dans leur opposition du noir et du blanc, de la présence lumineuse et de l’ombre maléfique.

Michel Voiturier