Compagnie Buissonnière et Alvéole Théâtre – Paysannes – éditions du Cerisier – Théâtre-Action – 57 pages – 8 euros

Cette pièce de théâtre trouve son origine dans les récits de vie d’une vingtaine de femmes issues du monde paysan, pour en tirer une vision de la condition féminine en milieu rural tout au long du XXe siècle, à travers la conversation de trois femmes qui se racontent, une Flamande, une Wallonne et une Italienne. Cet échange témoigne à la fois d’une grande variété de parcours et d’un tracé de vie finalement fort semblable, fait de travail, de devoir, d’oubli de soi et de ses aspirations ou désirs personnels pour se mettre au service de la famille, noyau essentiel et centre de leur vie.

La présentation est originale : les actrices, Aline, Bruna et Laetitia, vont faire vivre respectivement Lena (la Flamande), Maria (l’Italienne) et Joséphine (la Wallonne), qui ne sont que des robes au début du spectacle. Elles enfilent les robes et entrent dans la peau des personnages. Chacune alors raconte son parcours et les parcours s’entremêlent, tissant pour chacune des entrelacs de contrainte dès l’enfance, entre travail fatigant et constant de la ferme ou du ménage, la famille nombreuse, la mère dure au travail et dure avec ses enfants, l’école quand on pouvait et le devoir tout-puissant, omniprésent, qui amène parfois à rester célibataire pour soigner un vieux parent ou assurer la survie de la ferme, qui amène parfois à épouser qui on ne voudrait pas parce que la situation l’exige.

Et la roue tourne, ces femmes se trouvent mères à leur tour et c’est leur tour d’assurer, après avoir tout fait « om mama te helpen, pour aider maman, per aiutare mamma »… Ce n’est plus toujours le travail à la ferme mais c’est toujours le travail assidu, avec parfois de grosses difficultés économiques, des déménagements, des émigrations. On s’en accommode, on s’adapte, on ne se plaint pas, c’est ça, la vie, avec des hauts et des bas. Lena devra s’arrêter de travailler pour raison de santé mais se trouvera d’autres occupations. Joséphine, qui aurait voulu être styliste ou chanteuse, chante à la messe, écrit des poèmes, dessine sur le tard. Maria se découvre une vocation de sage-femme – n’avait-elle pas aidé sa mère à accoucher de sa petite sœur ? L’ho messo io al mondo ! Quant à Joséphine, elle fait tout comme un homme, puisque son homme est un peu fragile. Même enceinte jusqu’aux yeux, elle tient bon. Elle affirme haut et fort que les fermiers sont un maillon important de la chaîne. Et, comme elle le dit platement à une citadine qui se moquait : « Mademoiselle, vous riez parce que je charge de la merde dans ma brouette ? Eh bien je vais vous dire : Quand je ne chargerai plus de merde dans ma brouette, vous ne mangerez plus que de la merde dans votre assiette ! »

Isabelle Fable