L’inconnu de Leipzig

 Il me plaît de vous conter l’histoire de cet homme qui vécut à Leipzig, ville située longtemps en Allemagne démocratique et cité qui vécut ses heures de gloire et aussi la fameuse Bataille des Nations où Napoléon prit une raclée des Prussiens,, ces derniers aidés par son ex-ami Bernadotte roi de Suède.

L’inconnu se nommait Buchholz. Il vivait à l’étage d’un bel immeuble classique 1890 dans une avenue ombragée de la ville saxonne. Solitaire, il ne quittait guère le quartier. Aucun de ses voisines et voisins ne connaissait son passé. D’une rare discrétion, il n’empêche quà la belle saison il fréquentait une pâtisserie : il y recevait une tasse de café gratuitement. Il venait au bstro du coin où il ne buvait guère mais prenait les nouvelles de l’Allemagne de l’Est via les journaux accrochés par un balai : porte gazettes souabe. Il avait un physique commun à moult octogénaires : dos voûté par l’âge, pas lent, chevelure grise.

Lorsque monsieur Horst Buchholz décéda, à 85 ans, en son appartement de moyenne taille, son corps resta six jours allongé par terre dans son salon avant que quelqu’un veuille se rendre compte de sa disparition. Ses papiers étaient en ordre. Étaient-ils vrais ?

Aucun de ses voisins proches ne s’occupait de lui. Il disait poliment bonjour ou bonsoir et il se tenait régulièrement sur le pas de la large porte cohère pour y voir défiler les gens et surtout saluer les jeunes femmes d’un grand sourire et d’un petit air approbateur ou connaisseur de la gent féminine : flatteur né il suivait du regard les donzelles.

Horst n’appartenait pas à la famille de l’acteur allemand Buchholz et il fut – selon les dires d’un assistant social du cru – menuisier puis huissier en chef dans une administration de la ville.

Il était resté célibataire.

En son immeuble ancien et bien entretenu vivait une musicienne d’une bonne quarantaine jouant de l’accordéon et chantant professionnellement. Elle fut sa plus proche voisine et, de sa chambre jouxtant celle de l’inconnu , elle entendait ronfler l’homme.

Que diable faisait-il à longueur de journée souvent sur son balcon ou deux heures durant sur le pas de la porte cochère, debout ou sur un tabouret en osier il conversait avec l’un ou l’autre et sifflait les jolies filles.

Une autre dame gardait les gosses à domicile et elle affirmera : Moi, je ne m’occupe de personne ici. Vous savez, c’était ainsi, avant la réunification avec l’Ouest : motus et bouche cousue. On a peine à le croire.

Personne ne se souciait de monsieur Buchholz qui journellement partait faire ses courses, muni, tel l’écrivain Paul Léautaud, d’un cabas. Il marchait de plus en plus courbé. N’allait-il pas marcher vers un endroit tenu secret ?

Même à Noël, dira un voisin, il affirma : Je reste sur mon divan. L’inconnu est mort après la fête de la paix aux hommes de bonne volonté.

On apprit qu’il jouissait d’une pension convenable : le régime communiste avait ceci de bon qu’une assistance sociale solide et efficace pouvait augmenter les pensions des citoyens fragilisés.

Horst ne se chauffait guère. Il se plaignait peu de son sort et souvent il disait à la boulangère : Je fais tourner la boule. On ne lui connaissait aucune liaison amoureuse. A la boulangerie les habitués dirent, post mortem, qu’il parlait de tout et de rien et occupait la même table où il prenait une couque, une frangipane et un café corsé.

Personne ou presque personne de se plaignit du vieux solitaire. Il était un citoyen comme un autre, un peu artiste.

Lorsqu’il passa l’arme à gauche les voisins (surtout une dame se sentant coupable de ne pas l’avoir connu ou au moins aidé) se cotisèrent (3000 euros recueillis) pour lui offrir une messe convenable au temple protestant et mêmement lui offrir une décente sépulture.

Un citoyen allemand d’origine turque, chanteur de profession, lui rendit un vibrant hommage et curieusement l’assistance fut très nombreuse et le temple full. Il affirmera que Buchholz devait cacher une terrible déception ou un lourd secret. Quel fut réellement le passé de M.Buchholz ?

Le film passé sur Arte laissa sous-entendre que l’inconnu s’était bien confié à ce voisin turc et que, par respect du « personnage » aimable du vieux monsieur, le Turc n’avait pas voulu dévoiler les réels épisodes du chemin du solitaire et comment il pouvait vibre reclus et content de son sort. Qui était-il vraiment ? Même avec l’aide du CPAS allemand comment pouvait-il vivre dans un bel immeuble ? Peyer son loyer ? Qui le protégeait ?

L’inconnu fit partie du paysage : venu de nulle part. On se rappela qu’il avait un bon sourire et une politesse digne d’un junker saxon.

Lorsque la télévision filma son appartement elle trouva un capharnaüm dans la cuisine et des paires de godasses dans le living, des pulls usagés, une montre de prix, une petite télévision et tout ce qui régit un ménage réduit à sa simple expression : la solitude.

L’assistant social témoigna. Rien à dire de spécial ou alors voulant taire le passé étrange ou sulfureux ou sur la corde raide de monsieur Buchholz il garda le silence des êtres doux comme les agneaux de Göttingen.

Je fus ému et bouleversé par l’émouvante et sublime émission d’Arte consacrée, en octobre 2013, au cas de monsieur Buchholz qui termina sa vie à Leipzig, ville universitaire, cité d’une célèbre foire. L’inconnu vivait dans une belle avenue ombragée et battait le quartier de ses semelles.

Je ne voudrais pas terminer comme Horts. Même s’il avait choisi la solitude pour compagne et vivre une vieillesse que d’aucuns titreront bête à pleurer. Personne, hors quelques rares Hommes, ne se soucia de sa personne ou de sa santé, sauf l’assistant social discret et peu volubile et le chanteur turc.

Buchholz fut un homme protégeant ses secrets et il emporta dans la valise des brumes alémaniques ses tourments, ses bagages de sable.

Des messieurs et mesdames Buchholz, il en existe aussi à Bruxelles. Heureusement celui de Leipzig souriait et taquinait les jeunes femmes et il les suivait du regard.

Bouleversant, oui, mais jamais n’acceptons la vieillesse comme un naufrage, ce qu’affirmait de Gaulle à tort.