barbezDaniel Barbez, Et l’Escaut se taisait derrière la maison, Merlin, Déjeuners sur l’herbe, 2015, 174 p.

Roman  comme l’annonce la couverture ? Oui, peut-être. Si on considère que le personnage principal est le terroir de Wallonie picarde lié à l’Escaut. Car on peut «voir la vie du fleuve comme une métaphore puissante de la vie des humains ».

Autrement, cela ressemble surtout à une galerie de portraits de personnages pittoresques qui constituent « le spectacle de la ménagerie humaine ». Ou à une série d’histoires locales à raconter d’habitude au moment intimiste de la veillée. Ou un puzzle qui rassemble les pièces d’un paysage de jadis, en un temps, somme toute pas si lointain. Avec, en guise d’illustrations, des photos d’époque et, comme fil rouge parfois décousu, la figure de la Maugresse, rouquine rebouteuse qui intrigue, effraie, fascine, rebute.

C’est la période où les péniches ont des moteurs, où les chantiers navals ne chôment pas, où les carrières extraient des tonnes de pierre, où le vélo est l’instrument de la mobilité, où les fêtes de villages sont les rares distractions (ha ! la description anthologique du manège à chaînes !), où la vie quotidienne est remplie d’actes liés aux traditions, où les bistrots sont les lieux de rencontre, où les artisans fabriquent chez eux les produits qu’ils proposent, où le tir à l’arc est un sport, où il y a un passeur pour aller d’une rive à l’autre du fleuve…

Ici le monde se divise d’abord en deux catégories d’évidence : ceux qui naviguent et ceux qui restent à terre. Puis il y a les fermiers et les ouvriers. Barbez éprouve de la tendresse envers eux. Cela se perçoit à travers une écriture qui donne belle part à la sensualité de la nature, des peaux, des choses mangées et bues, des matières à dompter.

Les gens qu’il décrit le sont avec verve, humour, un sens aigu de la caricature singulière sans méchanceté. À travers ces habitants des berges de l’Escaut, le lecteur découvre de la toponymie, des mœurs, des mentalités, des parlers dialectaux ou des jargons professionnels, une sorte de sociologie pragmatique d’un moment d’histoire locale mais qui aurait sans doute pu se passer ailleurs car les hommes se ressemblent.

Tel que conçu, ce livre est abordable, un peu n’importe où, sur la rive visuelle des pages illustrées ou celle des pages romancées. On y débarque pour de brèves escales, on en repart vers où on veut, sautant des étapes, revenant en arrière, péchant ici ou là, en toute liberté. Comme au gré de souvenirs épars. Et finalement, on embrasse le panorama d’un terroir, sans nostalgie mais non sans quelques regrets d‘une époque aux inconvénients différents de la nôtre.

Michel Voiturier