Daniel Charneux, More essai-variations, Bruxelles, M.E.O. 2015, 182 p.

Thomas More morcelé pour un portrait original

Rien ne prédisposait Daniel Charneux à écrire un bouquin sur Thomas More (1480-1535), prélat auteur de « L’Utopie », décapité par Henri VIII et canonisé par l’Église catholique. Voilà pourquoi il s’explique, remonte à la genèse d’un projet qui n’était au départ en rien le sien et retrouve, en sa mémoire et en un vieux Larousse, sa première rencontre avec le personnage.

Après quelque péripétie éditoriale, notre auteur en vient à dire qu’évoquer l’homme d’église anglais, c’est évoquer son propre rapport à la sainteté. Baptisé par tradition parentale, il s’avance en enquêteur minutieux dans une quête historique qui, de la généalogie familiale, l’amène jusqu’à Jean Anouilh et à sa pièce « Becket ou l’honneur de Dieu ».

Le voici alors, changeant son rôle de narrateur détective pour devenir dialoguiste avec une ‘doctoresse’ en philosophie. Sa vision à elle de l’œuvre de More, « L’Utopie », est qu’il s’agit d’une fiction plus qu’un modèle idéal de société, qu’elle se présente comme une réponse à « L’Éloge de la folie » d’Érasme, qu’elle contient « un aspect communiste invraisemblable » notamment parce que dans le pays imaginaire de son livre, « la notion de propriété privée est inconnue » et « les libertés individuelles sont limitées ». Mais More s’avère aussi proche des épicuriens ; et, par certains côtés, annonce même le malthusianisme.

Alors qu’une fois encore Charneux s’interroge à propos de son propre statut d’écrivain dans cet essai qu’il est en train de rédiger, il en vient à la conclusion que la prose de More est une fiction, donc « avant tout un ouvrage littéraire » bien plus qu’un pamphlet politique. Même si des événements bien réels de sa vie interviennent dans le livre. Comme la pratique en est courante, actuellement, dans l’autofiction. Et, compte tenu que cet ecclésiastique fut exécuté, questionnement à nouveau sur les problèmes posés par l’autofiction et la liberté d’expression aujourd’hui.

Une digression au sujet d’une escapade à Londres en 2014 vient à point pour préciser le décor historique, la vie quotidienne à l’époque et rappeler la canonisation de More après sa mort. Occasion opportune pour mettre en parallèle la décapitation du prélat par un Henri VIII outré de se voir contesté en son désir de se séparer de la religion de Rome et celle d’un otage français par les islamistes dévoyés.

On s’en rend compte, Charneux a « tenté de construire […] un puzzle ou une mosaïque ». Après avoir retrouvé dans son œuvre antérieure des passages qui parlent de foi, de rituels religieux et d’avoir expliqué ce qui l’a amené à quitter le catholicisme et à se rapprocher du bouddhisme, il se hasarde à qualifier son travail d’«essai enromancé », bien que faute de mieux il se contente d’« essai », terme qui est associé, sur la couverture de l’ouvrage, au terme plus exact de « variations ».

Michel Voiturier