Daniel Fano, Privé de parking. Micro-Fictions, Bruxelles, Traverse, 2017, 112p. (12 €)
L’arme subtile de la dérision

On connaît le goût de Daniel Fano pour les écritures singulières. Ce qu’il raconte, il lui faut l’éloigner de toute logique rationnelle. On dirait volontiers que, parfois, les histoires se sont bâties sur la structure célèbre des ‘cadavres exquis’ chers aux surréalistes. Ou qu’il s’agit de collages de phrases empruntées çà ou là. Il convient donc au lecteur de se laisser porter, de ne pas s’accrocher à un sens immédiat car la narration proposée ne se contente quasi jamais de l’immuable enchaînement d’un début, d’un noyau central, d’une fin induite par les deux premiers.

Passer du coq à l’âne est coutumier à l’auteur. Certaines phrases se terminent brutalement, amputées de leur dernier mot. La chronologie peut se dérouler à coups de ruptures et ne pas négliger les anachronismes. Il y a souvent comme une vision kaléidoscopique ou comme une pratique du zapping qui est plus familière au téléspectateur qu’au lecteur. Si cela déroute, il est cependant souhaitable et tentant d’accepter le jeu, d’y entrer et de s’en réjouir.
Car chez Fano, toutes ces pirouettes ou galipettes syntaxiques, toutes ces distorsions sémantiques, toutes ces entorses à la rationalité appartiennent à l’humour particulier qu’il cultive avec délectation. Sa pratique littéraire est à l’image de notre monde chaotique. Sa tonalité avoisine celle du pastiche ou de la parodie.

Une vague illusion de réalisme se glisse dans le choix de nombreux patronymes appartenant à des personnes ayant existé, ayant abandonné leur anonymat via leur médiatisation: écrivains, acteurs, réalisateurs, plasticiens, musiciens ou chanteurs, mannequins, politiciens, sportifs, gangsters, héros de fiction même… Sans compter la dénomination d’institutions publiques ou privées. Ce rapport au réel incite à croire en la véracité des nouvelles composées par l’écrivain.

Pas mal de dérision se glisse dans une mise à nu des contraintes de ce que Fano baptise la « modosphère » à travers une sorte de patchwork de noms propres, de slogans ainsi qu’une accumulation de vocables, pour la plupart anglo-saxons, liés à des phénomènes de snobisme, voire à une colonisation économique étasunienne. Une série de textes ultra-brefs semble avoir pour modèle un livre tel que « Ana de Mme Apremont » de Jouhandeau, à travers un échantillonnage de ‘bons mots’ dérisoires censés avoir été prononcés par l’une ou l’autre célébrité. Les romans d’espionnage se voient traités en fonction des clichés qu’ils véhiculent. Une certaine presse montre indirectement son indigence, elle qui met en exergue des événements anecdotiques aussi vite oubliés dès que connus.

De temps à autre, une phrase vient suggérer le sens profond de cette démarche inhabituelle aux apparences comiques.  » « Facebook rend fou, le triomphe du menu fait rend tout, absolument tout, factice « . Puis « Facebook ne suffit pas pour faire de la politique ». Ou encore cette affirmation qu’aujourd’hui « on ne fait pas la différence entre le vrai et le faux ». Un régal pour qui prend la peine d’aller au-delà des apparences.

Michel Voiturier