DANIEL SOIL, En tout!, éd. M.E.O.

Voici un très beau livre riche en sentiments contradictoires, en pensées adverses, et d’un subtil érotisme. C’est en outre un essai d’initiation au métier de « conservateur des traditions », qu’est le professeur lorsqu’il transmet un patrimonial savoir et d' »accoucheur des âmes », lorsqu’il tâche de révéler à eux-mêmes ses élèves. A moins que ce ne fussent les élèves, engagés dans le débat politique, qui n’accouchassent le professeur. A peine plus âgé qu’eux, Jean est professeur d’éducation civique à l’athénée de Saint-Gilles. Le voici confronté à une classe de jeunes gens de diverses origines. Parmi ceux-ci, il en est quatre qui requièrent son attention: Samuel, véhément juif, Filomeno l’artiste, immigré italien, Stéphane le pondéré et Noureddine, le rebelle palestinien. Les échanges vont bon train. Tous, ils s’accordent sur un point: la Terre est bien vaste assez pour permettre à tous les peuples d’y vivre dans la tranquillité et la sécurité. Comme toujours, cet unanimisme se dissout sur l’article des moyens. Les Palestiniens étaient les premiers occupants, tandis qu’Israël est un Etat artificiel créé par les Anglais afin de dédommager les Juifs de la Shoah. Certes, il y a eu la Shoah, crime incomparable  dans l’histoire misérables des hommes, mais la Shoah n’autorise pas Israël à commettre un déni de justice à l’égard des Palestiniens. « Tire-toi de là que je m’y mette, je suis le premier occupant…Non, la terre est à celui qui le premier l’a fait fructifier… » Aussi bien la cause du possesseur est meilleure que celle du demandeur: « Melior est causa possidentis…etc… » A ce compte, le débat est sans fait. Demain Noureddine et Samuel reprendront le flambeau, chacun pour son parti, et la guerre ne finira pas. A moins que ne survienne un providentiel cunctateur…Modérateur, c’est le rôle que se réserve parmi ces jeunes têtes échauffées un Jean prudent. Il est soutenu par un Stéphane raisonnable parce qu’il n’est pas à la cause, un Filomeno à qui toutes ces discussions passent par-dessus la tête et qui ne vit que de livres et de cinéma. A propos, avez-vous lu ‘L’élu »? C’est la question que pose à Jean Anna, une jeune femme rencontrée dans un bar de Saint-Gilles, piquante, et qui milite dans un mouvement de jeunesse juif. Elle lui parle de ses activités de militante, l’emmène chez elle, lui fait écouter du Mendelssohn. Elle lui fait rencontrer Elvire. Elvire est la mère d’Anna. Une très belle femme d’âge mûr, et qui a gardé de beaux traits. Elle est très sensuelle dans sa posture de mère blessée par la mort d’Antoine, son fils qui s’est donné la mort après avoir été témoin des exactions commises par les gens de »Tsahal », à Gaza, pendant la guerre des Six Jours. Jean succombera aux charmes si personnels et semblables à la fois des deux femmes. Après quoi Anna s’éloignera de Jean. Elle rejoint Samuel. Elvire, à l’occasion d’un voyage, se fixe à Gaza. Jean devient enseignant à l’école Almeeriah dans le cadre de la coopération belge. Cependant, Anna reviendra-t-elle vers Jean?…Le roman finit comme une symphonie en ré mineur, autrement dit comme il a commencé. Un très beau livre, répétons-le, au style agréable et qui est écrit avec soin. Des personnages aux caractères bien définis, le tout transcendé par les grands débats de principes qui déchirent depuis des décennies un malheureux Moyen-Orient qui n’a pas même pitié de soi. Ajoutons que cette histoire se déroule en différents endroits de Bruxelles, à qui l’auteur M.Daniel Soil déclare à chaque page son amour, et tout sera dit.

Marcel Detiège