Denis Riguelle, Rue des Brasseurs, Weyrich Edition, 2014

 

À l’origine de ce roman réaliste, deux personnages masculins qui se heurtent aux misères du quotidien. L’un, Franz Racine, est professeur de français dans un collège de la région namuroise – l’auteur  jurera que ce n’est pas lui –. Il vient de heurter, sans gravité, la jeune Lola qui courait pour se rendre à son travail. L’autre, Marc Barbot, est retraité et veuf inconsolable. Son meilleur passe-temps est d’observer Franz à travers les lamelles de son store vénitien. Car ils habitent l’un en face de l’autre.

À partir de là, toute une panoplie de personnages défilent. Leur importance se manifeste peu à peu, au fur et à mesure que le narrateur noue l’écheveau des péripéties. Puis Franz revoit Lola – il faut remplir les papiers pour l’assurance – avant de l’inviter au restaurant. Et là, la rumeur s’emballe. Tout le petit monde qui gravite autour du commissaire Delmot finit par s’en mêler. Car Lola est la fille de Delmot (vous me suivez?).

L’issue de cette tragédie très ordinaire rassemble les principaux protagonistes dans l’appartement de Franz Racine, où Marc Barbot s’est introduit en justicier, un révolver à la main. Autour de cette trame assez banale, Denis Riguelle a composé un excellent roman. Il maîtrise parfaitement les multiples soubresauts de l’intrigue. Il divise son récit en courtes séquences qui se répondent, composant un puzzle que le lecteur est invité à reconstruire.

Tout est vu de l’intérieur des personnages. Par exemple, lorsque Franz évoque le souvenir de Mona, entrevue au théâtre royal de Namur – souvenir qui le hante –, le lecteur s’identifie à lui et vit par procuration les émotions suscitées par cette rencontre. Les relations entre les êtres sont exprimées tout en nuances, dans la subtilité des non-dits.

Et puis il y a l’écriture. Tantôt elle est rapide et assaisonnée de formules qui font mouche : « Une sculpture en creux dans la fresque de la vie ». Tantôt elle est lente et se déroule comme un ruban de soie où se reflètent toutes les moires de l’existence. Il y a quelque chose de Perec dans cette Rue des Brasseurs. La précision des descriptions, dont on ne perçoit pas tout de suite l’utilité, se révèle essentielle en tant qu’étroitement liée au cheminement intérieur des personnages. Ainsi deux pages entières sont consacrées au disfonctionnement du percolateur du commissariat de police. Mais cette description, loin d’être gratuite, progresse en parallèle avec les impressions ressenties par le commissaire Delmot et son adjointe Ann.

Denis Riguelle est professeur de français à l’Institut Saint-Berthuin de Malonne. Il a publié un recueil de nouvelles, Du côté d’elles. Rue des Brasseurs est son premier roman. Le titre fait référence à un quartier de Jambes où se situe l’action.

Jacques Goyens