aguessyDominique Aguessy, Les raisins de  mer, nouvelles, L’Harmattan,272 pp, 22,50 €

 

Assez souvent, ces nouvelles, par leur style un peu abrupt, sont assez proches de celles d’Hemingway: des tranches de vie sans apprêt, livrées telles quelles, sans grande intrigue, sans véritable conclusion. Comme si l’auteure nous disait: La réalité est telle , moi je n’y suis pour rien, prenez-la comme je vous la donne. S’il y a une leçon à tirer, elle est le plus souvent implicite.

Elle aborde ainsi, toujours sensible à l’absurde, les situations de tension, que ce soit entre gouvernants et gouvernés, riches et pauvres, ou bien entre Européens et Africains, ou encore, dans un ménage, dans une famille.  Tension aussi entre la civilisation ancienne, où la famille élargie joue un rôle essentiel, et la civilisation moderne, dans laquelle souvent l’individu débouche sur la solitude. Et l’absurde naît du conflit mal engagé et non résolu; les non-dits empoisonnent l’existence. Un monde dispersé, s-désaxé: d’où le rôle social de l’écrivain, défenseur des vrais intérêts de l’homme et de l’homme lui-même.

De temps à autre, non pas un clin d’œil, mais une sorte de moue attristée. C’est comme cela, voyez-vous, et pas autrement. Comme j’aimerais que ce soit. Mais, malgré tout, j’essaie que ce soit comme j’aimerais. Droit. Conforme à la raison, au bon droit. Au bon droit des gens. De tous les gens, et pas de quelques-uns.

Toujours cette voix off, simple et menue, qui nous pénètre les os comme un crachin de novembre. Un ton égal, diffus, sans éclats de voix. Même pour les choses les plus tristes, les plus accablantes.

Et cela, pour nous décrire un monde qui nous est parallèle, qui est comme le décalque de notre monde. Sa décalcomanie. Le monde de l’absurde à côté du monde de l’indifférence.

Kafka n’est pas loin. Ubu Roi non plus. Et l’absurde, on y nage en plein. Je n’en veux que cet exemple, p.100, mais on pourrait les multiplier:

Quelques audacieux sortaient de leur sacoche un morceau de journal ayant déjà passablement souffert, y fourraient nerveusement des restes de nourriture, qu’ils apporteraient à un gardien en échange de sa complicité. Celui-ci leur permettrait alors de faire monter dans leur chambre d’hôtel les compagnes avec lesquelles ils comptaient passer la nuit. Il est nocif, affirmaient-ils, pour la santé mentale de dormir seul. Si le sperme non éjaculé vous monte à la tête, il vous rend fou. Avec de telles croyances, tout leur était permis. Quelques naïfs ou idéalistes se référaient encore à l’idéologie d’unité syndicale pour tout un continent pour justifier de tels rassemblements. Il n’en restait qu’une triste parodie.

Un tel livre suppose la réunion rare de compétences diverses: l’expérience vécue des conflits auxquels sont affrontés des responsables des syndicats; une connaissance approfondie des mentalités anciennes, telles qu’on les trouve par exemple dans les contes, et les rapports, conflictuels ou non entre fratries, entre Blancs et Noirs. Toute son expérience passée, et ses œuvres antérieures, y prédisposaient Dominique Aguessy. Elle l’a fait, et elle l’a fait excellemment.

Joseph Bodson