Dominique HUYBRECHTS, 1914-1918 MUSICIENS DES TRANCHEES, Racine, 2014, 284 pages, 23 euros.

On connaît les écrivains, les peintres[1] qui ont participé au premier conflit mondial. On sait moins ce qu’il en fut des musiciens. L’ouvrage de Dominique Huybrechts[2] vient dès lors fort à propos.

Dès l’abord, on retrouve ce schéma : pas de distinction entre soldats, enthousiasme des débuts qui fera place à l’horreur du quotidien. Ces hommes sont musiciens et vont le rester : on va les voir composer dans les tranchées, jouer dans des conditions pour le moins inhabituelles et parfois avec des instruments par eux bricolés. Bien sûr, ils composeront des œuvres de circonstance, mais aussi des œuvres s’inspirant des paysages, des pastorales.

Avec beaucoup de précision – on n’attendait pas moins d’un musicien !-, développant un sens réel du récit, l’auteur nous parle d’abord des musiciens belges et français, chacun – et il en ira de même pour les autres nationalités – voyant clôturer le passage qui le concerne par ses affectations et ses œuvres de guerre.  Ainsi découvrira-t-on, entre autres,  avec un grand  intérêt le destin tragique du compositeur wallon Georges Antoine et s’attachera-ton aux nombreux musiciens français ici concernés (le soldat Poulenc, mobilisé en janvier 1918, Ravel, qui après maintes démarches se fait incorporer dans une unité de camions, Reynaldo Hahn  pour ne citer que les plus connus). On ne peut s’empêcher d’ici mentionner  l’émouvante figure de Lili Boulanger, une femme parmi tant d’hommes.

Les musiciens britanniques, dont le sacrifice est à la hauteur  de l’engagement de leur armée, et  austro-allemands (ainsi Wittgenstein, Hindemith, Kreisler), le front italien (Luigi Russolo) et les « sammies » (triste destin que celui de David Hochstein grand concertiste, engagé volontaire) ne sont pas laissés pour compte.

Cet ouvrage très complet envisage  en outre la guerre sous-marine et navale (Granados, qui périra enlacé à son épouse et Jean Cras,  les musiques militaires et les musiciens de combat (épiques les pages sur les pipers !), sans oublier les musiciens prisonniers de guerre.

On saluera l’iconographie, riche et soigneusement choisie ainsi que l’annexe comprenant, d’une part une sélection d’œuvres, d’autre part un impressionnant tableau de 100 compositeurs mobilisés, blessés ou tués, le tout couronné d’une bibliographie dense.

Avec ce livre des plus réussis,  Dominique Huybrechts rend un bel hommage à l’homme : cet être qui, au milieu du sang, de la boue, plongé dans les pires conditions est encore capable de composer, de jouer, de créer du beau.

                                                                                                          Michel Westrade

                                                                                                          11 mai 2015

[1] V. Cette revue, n° 42, p. 48 : la critique du livre de Franz Eppe sur le peintre August Macke.

[2] Il n’en n’est pas à son coup d’essai en la matière. On lui doit « Les musiciens dans la tourmente, Scaldis, 1999.