Eric Piette, L’impossible nudité,  poèmes, frontispice de Sabine Lavaux-Michaëlis, éd. Le Taillis-Pré.

On finira bien par s’en rendre compte, Eric Piette, parmi nos jeunes poètes, est l’une des voix les plus originales, un de ceux-là, dont le ton n’est pareil à nul autre, et présage une œuvre marquante.

toi qui bois à la santé de n’importe quoi//qui puisse soulever l’aube,

nous dit-il à la p.63.

On est bien loin ici du dérèglement de tous les sens, de se rendre voyant. Il s’agit seulement de voir dans le quotidien, le réel, la souffrance exposée,  et l’espoir d’autre chose. Une sorte de lassitude. Du plus profond du désespoir naît une sorte de lucidité résignée. Cela fait une drôle de musique, grise et déchirante.

(…)Va et vient. Unique couloir aux murs blancs, sales. Parsemé de portes. Et la porte à code. Et les codes. On s’occupe de toi. Va! Viens! De quinze minutes en quinze minutes: trois semaines pour doser – être incapable de sonder. Le temps. Les temps. Les manuels. Parfois dans ton regard quelque chose s’occupe de toi. (…) p.70

Une hantise de la mort, mais une mort familière, quasiment banalisée, que croise notre route.

Ainsi, à la p.77, comprenons-nous que la nudité est une sorte de tabula rasa. Et quand il parle, à la p.77, de sauter hors du vide, inversant ainsi l’image habituelle, le hors remplaçant le dans. Comme si on retournait un gant, les coutures à l’extérieur. Ainsi aussi, p.89, rêve-t-il d’une enfance blanche – vide.

Il se réfère de temps à autre à des poètes connus, mais celui dont il me paraît le plus proche, c’est le Cesare Pavese de Travailler fatigue, avec la même hantise du blanc, du vide.  Longue quête du vide et du silence, mais tout espoir n’a pas disparu: je me tais je me tairai un jour où l’aube/n’aura plus aucun sens/où l’espoir sera définitivement supprimé.

Il reste donc de l’espoir, si ténu soit-il. Et l’aube est toujours là, qui peut s’ouvrir sur un jour inattendu, un jour de bel été.

Joseph Bodson