Le prisonnier des collines de Érik Sven (Weyrich, 2013)

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 L’hiver 2001 a décidé de plier bagage et dans l’air pétillant du printemps, Jean Mélaize sent resurgir de vieilles émotions qu’il croyait enfouies. Oui, c’est aujourd’hui qu’il fera sa première promenade de l’année. Il a certes 78 ans, mais il a besoin d’air. Besoin de vérifier si les forêts et la Semois sont toujours à leur place. Puis de pousser jusqu’à la ferme de Gérardfontaine…

Marie-Laure, sa voisine de 81 ans, a beau lui conseiller d’attendre qu’il fasse meilleur, moins humide. Déterminé, le vieux Jean quitte le village.

 En suivant le chemin de Gérardfontaine, il se revoit  gamin aimant se plonger dans un livre ou dans la forêt. Puis, un jour, rencontrant la jolie fille de la ferme : Marie-Laure. À laquelle, durant toute sa jeunesse, il n’osa vraiment parler, exprimer ses sentiments. Et 60 ans plus tard, cela n’a pas changé !

 Après avoir effleuré la ferme aujourd’hui abandonnée, étouffée par la sapinière, Jean ne peut résister à l’attirance de la Table des Sorcières. Heureusement qu’il a sa canne, la pente est raide !

 Jadis, après avoir tourné autour de cette Table, un jour il y était monté. Pour braver les sommets inconnus. Dans un orage, il y avait croisé Marie-Laure, sa fée, aux frôlements de laquelle il n’osait pas répondre. Puis il était remonté seul, connaissant alors l’enchantement, l’éblouissement des sens. Et subjugué, répondant à une irrésistible poussée, il s’était déshabillé face au vent, nu comme un arbre qui ressent le frisson des profondeurs de la terre.

Puis Robert avait atterri à la ferme de Gérardfontaine. Avec ce jeune juif allemand, Jean et sa fée n’étaient plus seuls, les forêts ne leur étaient plus réservées, la magie n’était plus la même et, près de la Table des Sorcières, leur cachette était maintenant connue d’une troisième personne. Jean sentait Marie-Laure lui échapper.

En mai 40, exilé dans le sud avec ses parents, Jean avait entrepris d’écrire des lettres d’amour à Marie-Laure mais n’avait pas osé les envoyer. À son retour, un an plus tard, il avait dû se rendre à l’évidence : Marie-Laure et Robert étaient mariés.

Devenu professeur à Bouillon, Jean avait connu Amélie. Mais l’image de Marie-Laure s’avérait ineffaçable et, de son côté, Amélie, fille de Bruxelles, n’avait pu s’acclimater à lui, fils de l’Ardenne.

La promenade a été longue et rude. Jean s’assied près d’un arbre. À 78 ans, il est épuisé, au bout de sa vie. Pendant laquelle il a trop hésité, craignant de perdre quelques graines de bonheur alors que le Grand Bonheur était parfois si proche. Pendant laquelle il n’a pu se libérer du joug de la forêt et des collines. Qui l’ont maintenu prisonnier. Jusqu’à la fin…

 Dans ce premier roman d’Érik Sven, non seulement la nature est personnage mais elle transmet sa force à l’écriture. Tout Ardennais devrait absolument s’offrir ce texte. Pour retrouver sa forêt natale, entendre le pourquoi du silence et s’abandonner à l’étrange des collines.

Bien entendu, les (excellentes) éditions Weyrich dédient également ce livre aux Wallons, Bruxellois, Flamands et Français qui veulent pénétrer les mystères ardennais… Car l’Ardenne est terre sauvage et ne se livre qu’à ceux qui désirent la lire. Ses rivières se cachent ; ses arbres et ses habitants se montrent réservés, taiseux. Ils attendent de voir. Ils nous attendent.

Philippe Bailly

Ancien troubadour du château de Bouillon