Franca Doura, Je m’appelle Ariel, mon père était un fou de Shakespeare, roman, préface de Jean-Claude Maes. Editions Academia, 188 pp, 18  €.

Voici donc le second roman de Franca Doura, très différent du premier, du moins quant au sujet. Le style, lui, reste aussi fluide, aussi agréable. Cependant, l’histoire se déroule selon un rythme très lent, avec parfois de longues considérations psychologiques, en liaison bien sûr avec le thème central: l’engouement que peuvent éprouver des adultes surtout, un peu paumés pour l’une ou l’autre raison, envers un gourou, une secte, s’il faut l’appeler par son nom, bien qu’elle s’en défende. Ils y trouvent une sorte d’assurance, une sûreté qu’ils n’ont pas en tant qu’isolés. Et même les brimades, qui ici vont très loin, coopèrent à l’emprise exercée par le maître Masato. Celui-ci connaît toutes les ficelles, use de tous les trucs, depuis les plus éculés jusqu’aux plus sophistiqués. Après la brimade vient la réconciliation, les éloges suivent, et même l’amour – un semblant d’amour – lorsqu’il s’agit des femmes, dont il fait un grand usage. La peur de se retrouver isolé, désarmé devant la vie, ramène le plus souvent les récalcitrants au Manoir de la Solitude, qui porte bien son nom.

Car il ne s’agit pas d’un remède à la faiblesse, à l’instabilité, en ce qui concerne les deux héros du livre, héros quasi jumeaux – et la fin nous réserve une surprise, que je ne vous dévoilerai pas. Non, plutôt un simple placebo. La voie, la seule voie véritable, ils devront la trouver en eux-mêmes, et par eux-mêmes. Dans l’amour aussi, avec tous ses aléas, ses incertitudes. Remonter sa propre pente, la voie la plus aride. Mais pour y arriver, il faut d’abord rejeter le carcan de la secte, et cela demande une capacité de rébellion assez peu commune. La même révolte qui poussait Antigone à enterrer son frère, en allant contre tous les interdits.

Les héros – Ariel et Daniel – portent des prénoms presque semblables. Le roman est construit en miroir, et il y a effectivement, chez l’un comme chez l’autre, quelque chose d’aérien, comme chez le héros éponyme de Shakespeare, dans la Tempête, sans doute la plus vraiment poétique de ses pièces. Quant au père…on ne voit guère que son ombre, mais elle est bien là, à l’arrière-plan. Mais ils sont partis dans la vie avec de lourds handicaps: un examen capital raté, pou tous les deux, et la pédophilie d’un prêtre, pour Ariel. Tout cela débouchera sur une analyse critique de l’autorité…mais il finiront par retomber sous l’emprise d’une autorité pire. Et ce sont des textes d’un sage chinois, Tchouang-tseu, ainsi que l’intervention d’une psychologue, qui amèneront le déclic salvateur. Et les clions d’œil ne manquent pas: ainsi le livre dans le livre, et bien sûr, Shakespeare.

Bref, un roman de formation, un bildungsroman, qui mène ces deux hommes, Ariel et Daniel, d’un certain âge déjà, et plutôt paumés, à la découverte de ce qu’ils ont de plus profond, et à une nouvelle vie. C’est plutôt réconfortant, cette idée centrale, que l’on peut à tout âge changer sa vie, et franchement optimiste. Chaque homme dans sa nuit/Marche vers sa lumière (Victor Hugo).

Joseph Bodson