Francesco Pittau, Une maison vide dans l’estomac, Bruxelles, Carnets du Dessert de Lune, 2013, 112 p. (12 €)

Résolument dans le quotidien, Francesco Pittau (voir https://www.areaw.be/?p=137 ) dessine une vision du monde plutôt pessimiste. Son humour est lucide, sa perception de la vie est révélatrice de ce qui fonctionne plutôt mal dans nos sociétés occidentales. Il procède par portraits d’individus saisis à un moment de leur existence, par nature morte soudain exposée. Il confronte les rêves et la réalité.

Il se penche volontiers sur les misérables, les rejetés, les exclus, les mal aimés, les esseulés, ceux qu’on désire ne pas trop remarquer, ceux qu’on préfère ne pas voir, car « Un non-être / – ce n’est pas / L’absence / Plutôt une présence discrète / Au monde –». Il en parle en découpant les mots, en les alignant verticalement en vue de créer une musique un peu hachée, comme celle des rappeurs.

Parfois on a l’impression d’une phrase prosaïque débitée en fragments. Mais Pittau s’arrange toujours pour que la chute du poème aille au-delà d’une simple information. Pour que brusquement une atmosphère ou un non-dit à pressentir vienne donner un sens profond à une observation apparemment très ordinaire.

Au-delà de l’anecdote contée, il parvient donc, avec presque rien, à dire tout. De même qu’un plasticien tel que Goya ou Otto Dix composent des gravures à l’eau-forte sur la misère et la guerre. De même que Hopper installe ses personnages sur ses toiles. Son vocabulaire est courant, c’est le nôtre, puisé dans notre quotidien. Les lieux choisis sont familiers, porteurs de vécu difficile : hôpitaux, bistrots, murs contre lesquels s’appuyer, ruelles ou placettes, parking, chambre plus ou moins minable…

Les moments retenus sont vecteurs de faits divers : attente en abribus, trajet en train ou tram, querelle familiale ou scène de ménage, attente d’un coup de fil, promenade urbaine nocturne, insomnie, découverte d’un corps sur un trottoir, solitude alors que le voisinage allume un barbecue, instants où remontent rancœurs ou désespérance, préparation d’un repas en cuisine, bascule brutale vers une mort volontaire…

Lire Pittau n’est cependant pas débilitant. Il y a des parcelles d’espoir entre ses lignes. Surtout il y a le refus de tout sentimentalisme facile, qu’il soit d’apitoiement ou de révolte, si bien que le lecteur est pris non par l’émotionnel à fleur de peau mais bien par la véracité des faits alignés page après page en guise de représentation d’une époque où la solidarité a cédé la place à l’individualisme. Il est porté à réfléchir et non à verser une larme factice ou à gueuler une diatribe sans lendemain. 

Michel Voiturier