Françoise Levie,  Anna et Vincent,  Memento Production, 2015.

Le film retrace en 60 minutes le portrait d’ Anna Boch (1848-1936), la seconde des six enfants de Victor Boch, le fondateur des faïenceries Boch Frères Kéramis, à La Louvière. Passionnée de peinture, formée d’abord par Isidore Verheyden, puis par Théo Van Rysselberghe, elle entrera dans le groupe d’avant-garde, Les XX, en même temps que Rops. Seule femme admise dans ce cénacle qui réunissait des artistes de premier plan, comme Ensor ou Knopff, elle figure parmi les meilleurs impressionnistes belges. Mais l’intérêt qu’elle portera aux tableaux de Van Gogh, découverts lors du salon annuel des XX, en 1890, l’année même du suicide du génie hollandais, va la captiver au point qu’elle sera la première à acheter deux de ses tableaux, La Vigne Rouge et Pêchers en fleurs dans la plaine de la Crau. Durant toute sa vie d’artiste et de collectionneuse (elle va acquérir des Signac, des Seurat, des Gauguin, entre autres), elle restera fascinée par le style unique de Van Gogh, avant de se défaire inexplicablement de ses deux toiles, en 1910, qu’elle revendra à un marchand parisien. Fut-elle empêchée de créer elle-même librement face à cette explosion de couleurs qu’elle contemplait tous les jours ? Probablement, car ce ne sont pas des considérations financières qui l’expliquent, vu sa situation confortable d’actionnaire des usines paternelles. Le film montre parfaitement le trouble qui l’étreint, sa volonté, impuissante, de percer le secret du maître et son recours au pointillisme pour approcher d’une autre manière le rayonnement et les jeux subtils de la lumière. Incarné par la comédienne Isabelle Jonniaux, le personnage de l’artiste intrigue et émeut en même temps. Enfermée dans sa vie de château (cet incroyable château de La Closière, dessiné par Poelaert), hypnotisée par Van Gogh, tout en étant en même temps très avide de découvertes, entourée de peintres et de musiciens novateurs, chérie par son voyageur de frère Eugène, qui connut personnellement Vincent, lequel fit son portrait, conservé aujourd’hui au musée d’Orsay, elle se libérera de cette sorte d’envoûtement en allant s’installer à Bruxelles, rue de l’ Abbaye, et en poursuivant une carrière artistique vouée au  paysage bucolique, aux scènes d’intérieur qui dégagent constamment une très douce et rêveuse poésie. Le film, écrit par  Françoise Levie et Luc Delisse, est ponctué par des textes, lettres d’Anna, d’Eugène, de Vincent à Théo et par des musiques de Fauré, de Franck, qui confèrent aux images une dimension infiniment poétique. Présenté récemment au musée Wellington, à Waterloo, dans le cadre d’ une exposition d’oeuvres de Anna Boch  (des photographies sur toiles imitant le mieux possible les originaux), disponible également en DVD, le travail de la réalisatrice, à qui l’on doit déjà des moyens-métrages consacrés à  Evelyne Axell, à Panamarenko ou à Paul Otlet, vaut assurément le détour. Il offre aussi l’occasion de rendre un bel hommage à la famille Boch qui fit la gloire et la richesse de La Louvière.

                                                                  Michel Ducobu