Françoise Pirart, Chicoutimi n’est plus si loin, Luce Wilquin, 2014, 192p., 19€. Romancière ,  nouvelliste, animatrice d’ateliers d’écriture, plusieurs fois primée (e.a. Prix Hubert-Krains, prix Gauchez-Philippot, prix Alex-Pasquier de l’A.E.B…), Françoise Pirart propose ici un beau roman , son vingtième livre depuis 1992. Marqué au sceau de l’errance (en quoi nombre d’auteurs ont bien souvent été influencés par quelques ténors essentiellement cinématographiques des années 70/80, comme Wenders et Goretta) et de la vraie aventure (celle qui se tisse à se frotter aux éléments, au froid, à la solitude), Chicoutimi n’est plus si loin nous embarque pour une épopée dans le Canada profond.  L’aventure commence en 1996 : deux frères, Erik et Sylvain,  adolescents de quinze et treize ans,  fuguent, prennent l’avion, passent au travers des contrôles, se cachent, font une kyrielle de rencontres… En parallèle, un ancien détective marche sur leurs traces, les croise, les perd, les retrouve… L’histoire, digne des histoires de trappeurs du grand Nord, maintient le suspense jusqu’au bout, en jouant de subtilité psychologique, en alternant les épisodes et les lieux. On se prend d’affection pour les deux antihéros, on les suit dans leur quête, on tente de voir plus clair dans les mystères que les deux paumés cachent ou dévoilent par petits pans… On sent qu’il y a eu traumatisme ; la figure du père y joue un rôle essentiel et le nom même de la mère semble quasi tabou…pourquoi ? Grâce à une écriture qui détaille avec beaucoup de vraisemblance et de précision (les dialogues, entre autres, émaillés d’emprunts québécois)  de vraies scènes pleines de nature et de mouvements (comme au cinéma), très visuelles, le roman nous  touche au-delà de l’histoire et de la psychologie, nous pousse à réfléchir intensément aux thèmes de la fratrie, de la famille, du voyage en « solitaire » (tiens, tiens, une autre influence des mêmes années : Manset) et de l’errance magnifique, entre ferveur, violence et découverte. Magnifiquement construit, doté d’un vrai rythme, c’est un roman qui plaira aux amateurs d’aventures profondes au double sens du terme : toute affection est aventure et tout voyage ouvre des brèches.

Philippe Leuckx