lentini Giovanni Lentini, J’irai plus loin, roman, Cuesmes, Cerisier, coll. Faits et Gestes, 2015, 124 p.

Lentini est né à Seraing en 1951. Il appartient à la seconde génération des Italiens débarqués en Belgique. Son roman s’attache à un quatuor de navetteurs qui prennent chaque jour  le train pour aller sur leur lieu de travail. Il en restitue des miettes quotidiennes d’existence. Il donne vie à des individus ordinaires, plutôt anonymes.

C’est la monotonie du journalier, avec des éléments sociétaux liés à la mobilité, au fonctionnement économique. Ce qui engendre parfois des dialogues un peu artificiels dans la mesure où ils sont manifestement conçus pour être porteurs d’arguments, pour assumer le côté didactique du propos.

On trouve aussi  des portraits de personnages comme tel contrôleur ferroviaire plutôt fantaisiste, une amoureuse un rien nymphomane qui téléphone ses exploits. Ou encore la famille de la narratrice qu’elle détaille. Ainsi que l’un ou l’autre voyageur particulièrement symptomatique de certains comportements. Mais ce qui frappe, c’est d’abord  comme un envoûtement « dans un bain de conformité qui rendait les questions sans objet, dans une douce normalité certes anesthésiante, diraient certains, mais tellement rassurante » en compagnie d’un mari qui « se contente des restes refroidis du bonheur ».

Au cœur de cette disponibilité inconsciente de la routine, surgit le désir de changement. Alors on se retrouve chaque premier vendredi du mois dans un petit restau. Hors wagon. Hors boulot. Et même, pour la narratrice, un jour de beau temps, de risquer une escapade  à Ostende !

Un constat s’impose parmi les dires qui s’énoncent, du moins auprès de ceux qui poussent plus loin leur réflexion sur l’ambiance générale du travail : « La peur de perdre mon emploi  n’est rien  à côté de la perte du sens du métier ». Car peu à peu, les constats deviennent aussi des interrogations au sujet du fonctionnement de la société, derrière le récit se révèle l’intention de mener le lecteur vers une analyse sociétale.

Le mariage, l’usage aliénant  du GSM, l’évolution d’institutions comme la banque, la précarité des emplois, l’accès  à la culture, l’engluement dans l’accoutumance, le besoin d’émancipation, l’ambiguïté des rencontres via internet… viennent s’étaler devant les yeux du lecteur induisant qu’il prenne position.  C’est l’aspect militant de cette narration qui ne se préoccupe guère du style. En général, les phrases sont simples, affirmant les êtres et les situations.

Il est néanmoins des passages où l’écriture atteint son originalité. La succession chronologique d’une journée au début. L’exploitation anaphorique d’une sorte de refrain indiciel à l’époque d’une crise politique majeure en Belgique.

Michel Voiturier