Grégoire Callies et Laurent Contamin – La petite Odyssée – Tome I – éd. du Cerisier – 86 p – 9 €

Trilogie pour marionnettes à gaine chinoise et comédiens. Il s’agit ici du premier pan de la trilogie, présenté en 2007 par Grégoire Callies, metteur en scène et montreur de marionnettes. Le spectacle se prolongera en 2009 avec les mêmes personnages, plus  d’autres techniques de spectacle. On joue sur les mots : Odyssée est une orpheline née au Moyen Age, qui entreprend une odyssée à la découverte du monde, avec son compagnon Bernie, et qui, à l’occasion de ce périple, est amenée à rencontrer des personnages historiques avec qui elle fait un (tout petit) bout de chemin : Leonard de Vinci, Montaigne, Henri IV et Ravaillac, Diderot, Rousseau, Delacroix. Ce voyage dans l’avenir fait découvrir aux adolescents, à travers une vingtaine de tableautins, les mécanismes de l’Humanité et « comment survivre quand on naît au bas de l’échelle sociale ». On effleure des fragments  d’Histoire, comme on présenterait des couvertures de livres, invitation à aller plus loin, à feuilleter le livre pour en savoir plus.

L’ambition du metteur en scène est d’amener les jeunes à réfléchir aux causes et conséquences des événements qui tissent la trame de l’Histoire et à se voir en tant qu’acteurs en prise avec le monde, liés au passé, depuis Lucy, l’ancêtre commune, et peut-être responsables du futur ? Le livre nous présente les dialogues mais il faut imaginer le spectacle : le travail du scénographe, Jean-Baptiste Manessier, très bien documenté sur des lieux réels, le castelet mobile, œuvre de Frédéric Marquis, les marionnettes fabriquées par le maître Yeung Faï et les vidéos de Manuel Hauss.

Une nouvelle façon d’intéresser les jeunes à l’Histoire en faisant d’eux les acteurs de péripéties qui pourraient ouvrir leur curiosité et susciter leur réflexion, après cette mini mise en bouche ludique.

Isabelle Fable

Grégoire Callies– La petite Odyssée – Tome 2 – éd. du Cerisier – 84 p – 9 €

Grégoire Callies poursuit l’aventure et mène ses deux héros à la découverte des pans noirs de l’Histoire : Bernie découvre le Nouveau Monde, bâti sur les conflits et la violence,  l’esclavage pour la prospérité du Sud, l’attitude scandaleuse des Blancs vis-à-vis des Indiens, tandis qu’Odyssée voit la dure condition féminine à Londres. Elle y rencontrera Flora Tristan, ainsi que Darwin. Bernie fera connaissance avec Charles Fourier, en discussion avec Karl Marx. Les deux adolescents se retrouvent à Paris et rencontrent Louise Michel. Quelques dialogues, quelques touches d’Histoire bien ciblées pour susciter l’intérêt des jeunes lecteurs.

Dans ce deuxième tome, les marionnettistes apparaissent, alors que dans le premier, ils demeuraient invisibles, cagoulés et gantés de noir. Les manipulateurs perdent leur invisibilité et deviennent comédiens, au même titre que les marionnettes. Le propos de l’auteur se dessine nettement. Dénoncer les vilenies qui font la honte de notre humanité. Aller au-delà de l’approche intellectuelle traditionnelle et faire vivre l’Histoire par l’approche anecdotique. Faire ressentir le vécu du passé, amener le lecteur à réfléchir, à se sentir impliqué dans le déroulement des événements, à décortiquer, voir, au-delà des apparences, le fond des choses. Ainsi, quand Wellington déclare qu’il faut abolir l’esclavage, ce n’est pas par humanité mais parce que l’esclavage constitue une concurrence déloyale aux prolétaires, qu’il faut payer. Et si les prolétaires sont pauvres, c’est leur faute, répond Malthus, l’Etat n’a pas besoin de main d’œuvre supplémentaire. A eux d’arrêter de faire des enfants inutiles, qu’ils n’arrivent pas à nourrir !

Isabelle Fable

 

Grégoire Caillies –  La petite Odyssée – Tome 3 – 101 pages – 9 €

Le spectacle s’enrichit de documents historiques : discours radiophoniques, peintures projetées, photographies ou documents vidéos d’époque, témoins d’événements de plus en plus proches et de moyens de communication de plus en plus performants. Odyssée et Bernie évoluent entre Einstein, Freud, Hitler, Germaine Tillion, Paul Rivet et le général de Gaulle, ils fréquentent Picasso, Soutine, Brancusi et sont confrontés au XXe siècle, toujours par le biais de quelques dialogues menés tambour battant dans un langage très actuel au rythme suivi des tableaux.

Cette fois, l’auteur dénonce l’illettrisme, source d’infériorité chronique, et en vrac dénonce tout ce qui ne va pas, les inégalités sociales et sexistes, l’horreur et l’ineptie des guerres, la lâcheté, la cupidité, les abus … Le XXe siècle est si riche en événements douloureux, on a le  choix. Mais l’optimisme y est aussi, tout n’est pas perdu. Dans l’épilogue, Odyssée nous dit : Je sais que si tout l’argent dépensé en guerres était utilisé pour trouver des réponses aux problèmes d’environnement, pour en finir avec la pauvreté, quel endroit merveilleux cette Terre serait. […] Vous décidez dans quel monde nous allons grandir. […] Vous continuez à nous dire que vous nous aimez mais je vous mets au défi. S’il vous plaît, faites que vos actions reflètent vos mots.

 L’humanité est un tout, dont tous, nous avons été, sommes ou serons des éléments uniques et, à ce titre, essentiels. Ce sont les petites gouttes qui font l’océan, ce sont les petits événements et les petites gens qui font les grands. Aux parents d’agir ? Ou aux enfants, dans un avenir proche ?

Odyssée verra, dans l’horreur d’un camp de concentration, le courage, l’espoir et le sursaut de dignité qui peuvent subsister dans les plus noirs moments. On peut résister, on peut reconstruire. Quand elle retrouve Bernie après la guerre, ils font le bilan de leur voyage et concluent que « tout reste à bâtir, en agissant de manière à ce que jamais un enfant ne puisse reprocher à ses parents la situation du monde dans lequel il évolue. »

Par le voyage initiatique de deux jeunes hors temps confrontés par delà les époques aux événements, aux idées et aux actions du monde, le lecteur comprend l’Histoire et le rôle qu’il peut jouer, même s’il est issu des classes populaires dites défavorisées, comme les deux petits héros. La question est de savoir à qui s’adresse réellement ce spectacle/conte. Car il s’agit d’avoir déjà un sérieux bagage intellectuel et une bonne culture générale pour tirer profit de ce qui est offert. Et cela nécessite un sérieux feed back avec des pédagogues compétents et positifs, qui sauront faire réfléchir les jeunes spectateurs et les amener à prendre conscience des manques, des problèmes et des solutions, si possible pas trop  utopiques, qu’ils pourraient apporter… éventuellement.

Dénoncer est facile, est utile, c’est le premier pas. Ensuite, il faut agir. Et ça, c’est plus difficile. On attend la recette…

Isabelle Fable