depuisGuy Belleflamme, Depuis le jour où elle n’eut plus la parole, Academia-L’Harmattan, 2014, 164 pp, 16,50 €.

C’est presque une gageure que Guy Belleflamme a réussie en ce livre: mêler – je devrais presque dire concilier – un roman d’analyse psychologique avec une fresque familiale, telle l’histoire des Thibaut, de Martin du Gard, ou la Saga des Forsythe,- en abordant bien sûr les grands problèmes de l’époque qui est en jeu, et d’une façon qui n’est pas superficielle. C’est ainsi que sont passés en revue les golden sixties, le softenon, la libéralisation de l’avortement, le concile, Mai 68, et toutes les répercussions qui en ont résulté au sein d’une communauté villageoise, d’une famille condrusienne. Ce don de la synthèse réussie, il le doit sans doute à son passé d’enseignant et d’organisateur.

Mais ce qui domine, qui couronne le tout, c’est la description des infirmités qu’entraîne l’hémiplégie, la perte de la parole, de la mobilité. Les réactions de la personne atteinte sont décrites par l’auteur avec une empathie véritable, c’est cela, encore une fois, qui fait la grande force de ce livre. Sa psychologie, ainsi que celle de ses proches, sont décrites avec beaucoup de finesse. Chacun des enfants réagit à la maladie de la mère suivant son tempérament, son âge aussi, et le père, même s’il est parfois maladroit, fait preuve d’un dévouement admirable. Guy Belleflamme nous donne ainsi, en point d’orgue, à la page 109, une très belle description d’une cérémonie de mariage, et des efforts que fait la mère pour y participer: Marie-Sophie donnait le bras gauche à son fils. Ensemble, et ils prendraient le temps qu’il faudrait. Avec application, Marie-Sophie traînait lentement sa jambe paralysée. Ils traversaient lentement la nef centrale, s’arrêtaient plusieurs fois avant d’atteindre enfin le transept: cela durait une éternité. Mais l’assemblée était recueillie, et, la circonstance le permettant, sincèrement émue. Marie-Sophie, heureuse, était reconnue dans sa dignité de mère. Elle pouvait passer le relais et confier ses fils à celles qui devenaient officiellement ses brus.

Et, en fin de parcours, alors que les facultés intellectuelles du mari sont en baisse, fatigue due à l’âge, les siennes, au contraire, sont intactes, et elle aura, avec le jeune kiné qui s’occupe d’elle, des conversations très philosophiques (p.138), où transparaîtra toute sa philosophie de la vie (apprentissage notamment de la mort). Son testament, lui aussi, en portera témoignage.

Un livre remarquable sur un sujet délicat et rarement abordé, doublé d’un témoignage lucide et attentif sur toute une époque.

Joseph Bodson