Jack Keguenne, Usufruit des déchirures, Aesth., 128p., 12€.

 

Le beau titre de cet ensemble de poèmes – plus de cent quintils – rejoint les préoccupations esthétiques et plastiques de l’auteur, peintre et calligraphe par ailleurs, selon une conception d’une poésie dense et ferme.

L’écriture repose essentiellement sur des ellipses et des verbes à l’infinitif (en quoi le procédé répétitif peut lasser) et les thèmes visent autant la fragilité de la parole que le sentiment aigu de la déperdition des formes et du réel.

Une solitude traverse ces textes, sourde, prégnante, apte à saisir l’être « hors d’atteinte » mais quelque chose palpite dans ces vers brefs, peut-être est-ce dû « aux cadences de l’errance » d’un auteur aguerri aux jeux subtils de la langue :

« de l’un à l’autre confins

les sentiments

comme en espalier de mémoire

 

aux ordres d’un déclin

ou soutiers de la résistance »

Et résister est bien le maître mot de cette poésie qui ne se donne pas directement ni entièrement : quelque réticence, altière, marque de talent singulier, nous détourne des sens communs et augure d’une profondeur non vaine.

Il y a ici de réelles beautés, d’écriture, de perception :

« l’impatience supplée au désordre provisoire »

ou

« foudroyé d’amour/ en parcimonie de seul »

Le poète est sans doute le seul à savoir si près, si vrai, si dense, si aigu que vivre est toujours « inabouti » et qu’on « ne surprend que l’éclat des crépuscules ».

En outre, l’édition est parfaite : petit volume léger, titre en bleu, maquette claire. Du beau travail, vraiment.

 Philippe Leuckx