Jean Baudet – Les plus grandes entreprises – celles qui changèrent le monde éd. La Boîte à Pandore – 314 pages – 18,90 €

Plus d’effort à faire aujourd’hui pour avoir de la lumière, de la chaleur, du froid, de l’eau, plus d’effort à faire pour voyager, s’informer, communiquer… Tout est fourni au citoyen sur un plateau d’argent… mais justement, contre de l’argent. Car tout cela a un coût et pas seulement un coût financier, mais aussi un coût social, un coût écologique, etc.

L’industrialisation, issue de la technique devenue technologie grâce aux progrès de la science, a provoqué d’incroyables changements – avantages et inconvénients – pour l’humanité. Oubliant les avantages indéniables qui leur ont facilité la vie, certains déplorent (à juste titre d’ailleurs) les problèmes nouveaux qui ont surgi suite à ces événements historiques. Car les innovations apportées par ces « grandes entreprises » peuvent être qualifiées d’événements historiques étant donné les modifications importantes qu’elles ont amenées, influant sur le cours de l’histoire de l’humanité – et peut-être même de la planète.

Jean Baudet a entrepris d’explorer cette dynamique avec un œil d’historien et de philosophe. Ce livre a pour ambition de répertorier les plus grandes entreprises industrielles qui ont révolutionné le monde. Il a fallu faire un choix parmi les innombrables entreprises. L’auteur en a sélectionné une cinquantaine, avec comme critère un chiffre d’affaires de plus de trente milliards de dollars, laissant de côté les entreprises plus petites – et également celles, innombrables, qui ont échoué dans leur projet. Car l’industrialisation est sans pitié. C’est en fait la production « rationnelle » (versus la production « artisanale »), qui vise à limiter l’effort, économiser l’énergie, diminuer les pertes et les déchets, restreindre la pollution, augmenter la quantité et la qualité des produits, en générant des bénéfices. Tout cela demande des capitaux et cette situation engendre ce qu’il est convenu d’appeler « capitalisme ». Certains veulent opposer capitalisme et socialisme, rendant le premier responsable des inégalités sociales, que le second se propose de corriger. L’auteur s’insurge contre cette vision des choses. D’après l’économiste Michel Albert, le capitalisme a « commencé à faire reculer la pénurie, la famine et l’oppression », nous dit l’auteur. Sans toutefois nier le revers de la médaille. Il est évident que la mécanisation à outrance a privé de travail les moins qualifiés et l’auteur distingue trois stades : le machinisme, qui remplace le travail musculaire de l’homme par une machine, l’automatisation, qui remplace aussi son travail d’ajustement, et la robotique, qui remplace l’homme presque totalement. Comment rivaliser avec un robot qui peut travailler parfaitement 24h sur 24, qui n’est jamais malade, ne prend jamais de congés, ne revendique jamais rien ? Il est évident aussi qu’il faut des moyens de production pour produire et qu’il faut de l’argent pour obtenir ces moyens de production. Le capitalisme est donc nécessaire. Et si l’industrie génère des bénéfices pour les « entrepreneurs », elle offre aussi travail et salaire aux citoyens, pour qu’ils puissent profiter de tous les biens de consommation qui sont produits. L’auteur nous démontre qu’on ne devrait pas opposer un moyen de production (le capitalisme) à un mode de gouvernement (le socialisme), car ils ne se trouvent pas sur le même plan.

Tout au long des pages, Jean Baudet souligne le lien essentiel entre le dynamisme des entrepreneurs et les progrès de la science, dont ils ont su tirer profit pour imaginer, inventer et réaliser. Il nous détaille les entreprises retenues dans l’ordre de leur apparition, parties le plus souvent de tout petits ateliers et occupant actuellement des centaines de milliers de travailleurs. Et si tout n’est pas parfait, il semble cependant impossible de revenir à une production artisanale, qui ne serait pas rationnelle et certainement pas suffisante pour combler les besoins d’une population mondiale toujours croissante.

L’ouvrage comporte beaucoup de noms et de chiffres, mais entre ces noms et ces chiffres, on trouve de quoi s’émerveiller de l’intelligence et de la créativité de l’esprit humain. Avec une note de pessimisme à la clé, car la science a apporté beaucoup de possibilités mais aussi beaucoup de risques. L’éthique n’est pas toujours au rendez-vous et d’autre part, la mondialisation, l’explosion démographique, les obscurantismes et fanatismes grandissants font aussi courir des risques à l’humanité, confrontée pour la première fois à de tels challenges au niveau mondial.

Comme toujours, l’auteur a soigné la documentation et privilégié un langage agréable. Il nous présente son « listing » comme une suite de portraits vivants, terminant par une conclusion intitulée « philosophie de l’histoire », qui ne manque pas d’intérêt.

Un seul petit point noir, un détail, mais qui gêne comme un caillou dans la chaussure : la table des matières décalée par rapport au corps du texte. Surtout que l’auteur nous signale qu’il a prévu un chapitre par société, pour donner l’occasion au lecteur de choisir l’une ou l’autre entreprise qui l’intéresse davantage.

 

Isabelle Fable