Jean-Claude Pirotte, Portrait craché, Le Cherche Midi, 2014, 192p., 18,95€.

Cinquante et unième ouvrage de Jean-Claude Pirotte, paru en juin 2014, juste après la mort de son auteur.

L’écrivain belge, né à Namur en 1939 retrace ici, dans un livre intitulé « roman », son retour dans la ville natale pour soigner les métastases de son cancer et l’iléostomie, qui lui a déformé visage, lui rend l’absorption de liquide ardue et fait peur aux enfants.

D’une lucidité terrible sur son devenir et la mort qu’il pressent d’une manière aiguë, Pirotte rameute les plus beaux souvenirs littéraires au milieu des quelques livres qu’il a      pu ramener de Saint-Léger où il vivait avant les derniers développements de sa maladie : ces ouvrages des frères en écriture, en vagabondage, en errance heureuse, Arland, Dhôtel, Chardonne, Juliet, dont il s’est toujours senti proche, sa famille littéraire.

« Portrait craché » montre à quel point le poète et romancier Pirotte réussit, en dépit de la souffrance, des traitements chimiques, de la douleur d’être revenu dans une ville abhorrée, qui l’a rejeté autrefois, à forer en lui jusqu’à préciser l’indicible : ce qui se noue au corps sous l’effet de la douleur.

Le beau livre revient aussi sur les affres de l’enfance ; il est né d’un père inconnu, et doté d’un père de remplacement.

Voilà un portrait non léché, non retouché, vrai comme une peinture de soi qui ne vise jamais à adoucir la touche ni à embellir la pensée.

Les aphorismes et les traits d’intelligence vive abondent dans cet ouvrage qui se laisse dévorer, tant il est fluide, d’un style imparable de netteté et de densité, comme un cœur qui s’ouvre en toute franchise et en parfaite lucidité :

La gêne permanente causée par l’iléostomie déteint sur son comportement moral (p.111)

L’idée même de cancer devient vivifiante (p.179)

Il doit au cancer d’heureuses retrouvailles (p.183)

Ecrire, à ses yeux, exige de n’envisager que ce silence (p.189)

Pour l’auteur, le livre est la « nourriture des réprouvés »,  « le refuge des réfractaires » et Pirotte achève l’ouvrage par une pirouette acide : « Accueillir la mort et lui faire place nette ».

Au-delà d’un vitalisme époustouflant, alors qu’il est littéralement rongé de métastases, le poète expurge le mal et le transmue en littérature. Pas celle de consommation courante – comme tant d’auteurs qu’il ne semble pas connaître – puisqu’il ne connaît que les vrais écrivains aimés, chéris, cités, les Follain, les Prével de son enfance (rappelant au passage la citation de Duras : « Un écrivain n’est jamais coupé de son enfance. Il y puise tout »).

PHILIPPE LEUCKX