idesbaldJean Jauniaux, L’année dernière à Saint-Idesbald, nouvelles, éd. Avant-Propos, préface de Jacques De Decker176 pp, 17,95 €.

Il en va des livres comme des maisons: il en est qui baignent dans une atmosphère particulière, parfois difficile à définir. A quoi cela tient-il? A peu de chose, parfois: une musique, un parfum, une température, un cadre…Pour Jean Jauniaux, et ce livre-ci en particulier, je dirais volontiers: un petit matin d’octobre à Saint-Idesbald. Un peu frisquet, quelques nuages, un contraste fort entre le blanc des dunes et le ciel encore un peu sombre, une mer houleuse. Il est vrai que ces nouvelles ne se déroulent pas toutes à Saint-Idesbald,  mais il y a un lien quand même qui les y ramène, parfois évident, parfois moins. Bien souvent, en fait, le cadre de la nouvelle est une sorte de terre vague, de territoire-frontière, neutre, gyrovague. Parce que les personnages – le personnage central, le plus souvent – a lui-même perdu ses marques, et cherche, en vain le plus souvent, à trouver un cadre de vie qui puisse lui convenir, un territoire, un terrain. Pontiac pourrait service d’emblème au recueil, tout y est en trompe l’œil: d’un côté les gitans, riches d’une voiture de luxe déglinguée, d’un ordinateur de raccroc et d’une carte routière, de l’autre les policiers, qui nous représentent un peu, nous, les bien-pensants, qui condamnons le plus souvent sans savoir. Parce que nous sommes du bon côté, bien assis, et que leur errance nous perturbe. Dans Le vagabond de juin, la seconde nouvelle, ce prof déclassé,  qui ne peut se passer de l’odeur de craie, et à qui il ne reste plus qu’à dessiner, à la craie, bien sûr. Pour qui? pour un hérisson. Cet autocariste, qui a perdu son emploi, mais qui s’est fait de la ville une carte à sa manière, avec les endroits où il est possible de se laver, de dormir, de manger, bref, de garder une façade de dignité, jusqu’au jour où cela aussi lui est enlevé.

Mais il y a aussi deux ou trois nouvelles d’histoire ou de politique-fiction, à la limite de la zwanze, mais qui n’en renferment pas loin leur part de vérité, amère, bien sûr: le Grand Marché, où et quand va-t-il s’arrêter? Les personnages, plus ou moins, se rangent en deux groupes: ceux à qui cela est déjà arrivé, qui ont perdu leur emploi, leur raison de vivre. Et puis les autres, les gens sérieux, les assis, à qui cela ne risque pas d’arriver…Voire: l’histoire  nous en a fourni plus d’un exemple.

Un point commun à tous, ou presque: la recherche, l’attachement à un lieu, à un endroit précis. Assez souvent, et de façon très significative, une bibliothèque. Un peu comme le taureau, paraît-il, au cours d’une corrida, a tendance à revenir toujours au même point donné de l’arène, qui lui sert en quelques sorte de refuge: la querencia. Un pays où l’on n’arrive jamais, un château dans une forêt perdue, un pays aléatoire perdu en bordure de mer et de frontière.  Ça ne vous dit rien? Bien sûr, les GPS n’indiquent que des directions aléatoires, si vous leur donnez comme destination Nulle part, ils vous diront que Nulle part n’existe pas, et l’écran des GSM n’a pas de place pour Personne, car Personne, jamais, ne répond. Ils sont là, avec leur misère, leur désarroi, leur faim et leur soif, et nous qui n’osons pas seulement leur parler. De peur, sans doute, de réaliser à quel point nous leur ressemblons.

J’hésiterais à dire que ce livre, au titre bleu et brun, accompagné de trois dessins de Guth Des Prés,  est une belle réussite, et à en vanter le style. C’est bien mieux que cela, L’année dernière à Saint-Idesbald: une vraie giboulée. Vous n’en sortirez pas indemne.

Joseph Bodson