Jean-Loup Seban, L’Epopiade & l’Apolonniade, Sonnets classiques et Couronne de Sonnets,
Chez Robert Clerebaut, Imprimeur, Bruxelles, 2017.

Jean-Loup Seban est une exception dans le cénacle de la poésie belge. On est bien loin de la prose disposée verticalement par morceaux et tronçons inégaux, sans ponctuation, que les prophètes autoproclamés de la paupérisation poétique qualifient de poésie. Celle-ci peut certes avoir son charme. Quelques grandes plumes dans le passé nous ont enchantés de la sorte. Mais c’est faire abus de son succès de facilité que de proclamer, comme ils le font, qu’elle est la seule poésie admissible aujourd’hui, reléguant ainsi la poésie classique, toujours très prisée en France, au bas bout de la table, parmi les mets indigestes d’un autre âge.
Les douze premiers sonnets dépeignent l’Epopée barbare : la prise de Rome et de Constantinople, les rivalités des Calédoniens et l’aventure de Clovis. Comme tout héros classique, Alaric est appelé à taire son cœur pour répondre à l’appel de la gloire :

Alaric a connu l’amoureuse caresse,
Mais chassa de son toit l’ébat patricien
Qui désarme l’orgueil au nid de la paresse. (L’Arès baltique)

A l’Epopée barbare succède l’Epopée chrétienne. Raymond de Toulouse, Christophe Colomb, Lisle-Adam, François 1er, Henri IV et le Dauphin illustrent la geste chrétienne aux côtés de Marie-Thérèse d’Espagne et Christine de Suède ; une histoire qui s’achève avec la Révolution, Saint-Just, les Sans-culottes et l’exécution d’André Chénier.

Patriote imprudent cinglé par la Terreur,
Avec l’ami fidèle, il honora Mémoire
En récitant Racine au gibet de l’horreur. (Le poète décapité)

La troisième époque, ou l’Epopée impériale, est un péan de louange envers la Bellone française qui domina l’Europe pour un temps trop court, s’il faut en croire l’auteur. Napoléon, le Nouveau Romule, représentait l’espoir d’un monde meilleur du Rhin à la Neva, de la Seine au Tibre. Hautement conscient de sa mission apothéotique, il se couronne et couronne Joséphine :

LE 2 DECEMBRE 1804

Phébus, dès son réveil, de l’Olympe azuré,
Pour chasser des toits noirs le voile de frimaire
Et parer d’or céleste un parvis légendaire,
Descendit sur la ville et son Louvre affairé.

L’étincelant cortège, ivre de majesté,
En trompetant l’espoir d’un trône héréditaire,
Sous les hourras du peuple au discours volontaire,
Dispensa, généreux, sa grâce et sa beauté.

Le pontife romain, l’âme sage et poltronne,
A béni, maugréant, la magique couronne.
En vain son regard cherche une absente en ce jour.

Des mains de l’Empereur, Dieu vit, gente et soumise,
Joséphine éblouie, en sa pourpre de cour,
Recevoir à genoux l’auréole promise.

Ce sonnet valut à l’auteur le Grand Prix Charles Le Quintrec 2017. Il convient d’ajouter que les sonnets de Jean-Loup Seban sont en général des poésies sur des poésies (odes ou poèmes épiques) qui eurent autrefois les faveurs des lettrés : Alaric de George de Scudéry, Le Dernier des Césars du vicomte de Vaublanc, Clovis de Limojon de Saint-Didier, Moyse sauvé de Saint-Amant, La Jérusalem délivrée du Tasse, Les Rosecroix de Parny, La Pucelle de Chapelain, La Henriade de Voltaire, Organt de Saint-Just, La Napoléide de Ménégault de Gentilly, etc…
La deuxième partie du recueil, L’Apolloniade, est constituée d’une couronne de sonnets dédiée à Apollon, en écho aux Métamorphoses d’Ovide. Imaginée par Crescimbeni, la couronne de sonnets se compose de quatorze sonnets – autant de sonnets que le sonnet comprend de vers – et d’un sonnet-maître qui reprend dans l’ordre les premiers vers de chaque sonnet. Dans le cadre de la couronne, le dernier vers de chaque sonnet constitue le premier vers du sonnet suivant, et le premier vers du premier sonnet est repris comme clausule du quatorzième sonnet. Un sonnet estrambot, Les coursiers du Soleil, clôture le recueil.
Inutile de chercher dans ce spicilège de soixante sonnets des évagations du moi. Homme de cabinet, l’auteur répugne à extravaser son âme dans ses écrits. Il juge indigne d’un lettré de répandre dans le public les émotions qui le traversent. Rien n’est moins vulgaire à ses yeux que cette complaisance avec laquelle certains poètes favorisent le voyeurisme malsain des chalands. Son esprit s’est donc fixé sur les gestes héroïques, les grands hommes et les fables antiques. Chaque sonnet est le portrait en miniature soit d’un caractère soit d’une action. A la différence des poètes modernistes, l’auteur n’entend pas innover ; il se satisfait de perpétuer le vers classique avec cette finesse et ce panache qui lui sont propres.

Paul Serval